Au Mexique, les narco-séries dans le collimateur des élus politiques
On va tous se les faire ! », lâche Aurelio Casillas, héros de la série El Señor de los cielos(« Le seigneur des cieux »), avant de tirer sur tout ce qui bouge. Diffusé cet été à 21 h 30 par la chaîne mexicaine Televisa, le feuilleton s’inspire de la vie d’Amado Carrillo Fuentes, ancien chef du cartel de Juárez.
Ce féru de chapeaux de cow-boy, de jets privés et de femmes siliconées doit son surnom à sa flotte d’avions qui a inondé les Etats-Unis de cocaïne. Le « seigneur des cieux » est mort, en 1997, lors d’une opération de chirurgie esthétique pour changer son visage.
Sexe, drogue et rafales de kalachnikov
Début novembre, l’autre chaîne du duopole mexicain TV Azteca a répliqué avec Rosario Tijeras, diffusée à 21 heures sur sa chaîne 13. Fondée aussi sur des faits réels, la série raconte les aventures d’une tueuse à gages sexy, impliquée dans une guerre des gangs à Mexico.
Sexe, drogue et rafales de kalachnikov, le cocktail à succès des « narco-séries », ces feuilletons à la gloire des narcotrafiquants, provoque une levée de boucliers des élus au Mexique. Les législateurs dénoncent leur influence néfaste sur les mineurs dans un pays meurtri par le crime organisé.
« Ces programmes font l’apologie du crime en présentant le narcotrafic comme un modèle de vie, à une heure où les enfants et les adolescents sont encore devant l’écran », a fustigé dans les médias le sénateur Zoé Robledo, aux côtés de la députée Lía Limón.
A la tête des deux commissions de radio et télévision du Congrès, ces législateurs exigent l’intervention du gouvernement. Et pour cause : la jeunesse est devenue la chair à canon de la guerre des cartels qui a fait 150 000 morts et 27 000 disparus depuis dix ans.
« Un jeune vendeur ambulant ou un laveur de voiture met trois mois à devenir un tueur au service du crime organisé », s’alarmait déjà, en 2009, un rapport ministériel. Depuis, le taux d’homicides d’adolescents de 15 ans à 17 ans a décollé (de 5,3 à 15,7 pour 100 000 habitants), selon le Réseau pour les droits de l’enfance au Mexique (Redim).
La fiction rattrape la réalité
Les narco-feuilletons sont-ils responsables ? « Nous ne sommes pas contre ces séries, martèle la députée Lía Limón. Nous voulons simplement qu’elles soient diffusées après minuit, afin de respecter la loi sur la protection de l’enfance. »
En face, Epigmenio Ibarra, producteur d’El Señor de los Cielos, crie « à la censure ». Selon lui, ces narco-séries ne décrivent que « la réalité », qui s’explique « en partie par la corruption du gouvernement ». Quant à Amat Escalante, réalisateur du film sur le narcotrafic Heli, il défend « la création d’histoires qui valent la peine », au nom de « la liberté d’expression ».
Cette fièvre des narco-séries a débuté, en 2011, avec La Reina del Sur (La reine du Sud), diffusée actuellement à minuit sur la chaîne 5 de Televisa. L’actrice Kate del Castillo, qui joue une chef d’un cartel, est sortie de la fiction pour entrer dans la réalité. C’est elle qui a organisé, en octobre 2015, la rencontre entre Joaquín « El Chapo » Guzmán, célèbre chef du cartel de Sinaloa, et l’acteur américain Sean Penn, autour d’un projet de film sur sa vie.
Cet épisode, qui aurait abouti à son arrestation trois mois plus tard, devrait être conté dans la série El Chapo, produite par Netflix, qui annonce son lancement en 2017. Grâce à son option « contrôle parental », la plate-forme devrait échapper, au Mexique, à d’éventuelles sanctions.
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