« American Psycho » à Hongkong

Jeune, brillant et riche… L’histoire de Rurik Jutting a pourtant fini aussi mal qu’elle avait bien commencé. À l’inverse des contes de fées dont Hongkong raffole – comme les destins de cireurs de chaussures devenus milliardaires –, l’histoire de ce banquier britannique au QI exceptionnel est celle d’une chute aussi rapide que brutale et sordide. Fin octobre 2014, le jeune homme, âgé de 31 ans aujourd’hui, tuait de façon ignoble deux jeunes Indonésiennes, Sumarti Ningsih, 23 ans, et Seneng Mujiasih, 26 ans. Le 8 novembre, un jury de neuf personnes l’a jugé coupable du double meurtre à l’unanimité. Le juge Michael Stuart-Moore a estimé qu’il s’agissait d’un des pires dossiers que la justice de Hongkong ait jamais eu à traiter et a condamné Jutting à la prison à perpétuité. La défense avait plaidé coupable.

Le 8 octobre, devant la Haute Cour de Hongkong, des travailleuses immigrées  attendent le verdict. Les victimes du tueur étaient d’origine indonésienne.

C’est aux petites heures du 1er novembre 2014 que Rurik Jutting avait décidé de mettre fin au cauchemar. Fortement intoxiqué par un mélange d’alcool et de cocaïne, il appelle la police dans son appartement de luxe situé dans le quartier chaud de Wan Chai, à quelques blocs de la rue des bars à prostituées. Le policier de service ne comprend pas de quoi il s’agit tant l’appel est confus, avant de se rendre sur place et de découvrir la scène d’horreur. Selon l’accusation, Sumarti Ningsih, avec qui le trader avait entretenu des relations sexuelles tarifées, a été torturée pendant trois jours avant d’être tuée dans la douche avec un couteau-scie. Toutes les pièces à conviction sont sur place. Il ne faut pas longtemps à la police pour découvrir un second corps, également mutilé, dans une valise posée sur le balcon de l’appartement.

Une personnalité ambiguë

« Je n’aurais pas droit à la rédemption », déclare Rurik Jutting dans l’une des vidéos montrées au tribunal. Ses propres aveux, enregistrés sur son portable, sont plus éloquents que les descriptions les plus obscènes. Il y explique les faits froidement : « Mon nom est Rurik Jutting. Il y a cinq minutes, j’ai tué, assassiné cette femme-là. On est lundi soir, je la retenais prisonnière depuis samedi. Je l’ai violée plusieurs fois. Je l’ai torturée, je l’ai salement torturée. […] Sur le moment, c’était bien. J’en ai fait un objet sexuel. Ensuite, j’ai réalisé qu’en fait ce n’était pas si difficile ni si mal. C’est illégal, bien sûr […]. Avec un peu de recul, on se rend compte que c’est horrible, évidemment. […] Ce n’est pourtant pas sorcier de comprendre que certaines choses ne devraient pas exister dans la vraie vie. » 

Dans ce monologue filmé, qu’il décrit lui-même comme les « divagations narcissiques d’un assassin », il dresse un autoportrait lucide et sans appel de son état : « Clairement je suis complètement frappé », « Je ne ressens pas de culpabilité, mais je me sens mal », « Je n’ai aucun self-control et aucune empathie envers qui que ce soit ». Il évoque sa personnalité à multiples facettes, son goût de l’extrême, ses addictions à l’alcool et au sexe, son instinct d’autodestruction conscient ou inconscient. D’autres phrases sont plus ambiguës : « Je ne me reconnais pas », « Je respecte les femmes »

Cocaïne, alcool et solitude

Selon le rapport du psychiatre Richard Latham sollicité par la défense, Jutting était « extrêmement malheureux » dans son précédent emploi à Londres, n’avait aucune vie sociale, et buvait « dans le but de perdre connaissance ». Le psychiatre a également indiqué que l’homme aurait été violé dans sa jeunesse par un de ses congénères au prestigieux Winchester College. Il souffrait, selon le psychiatre, de troubles narcissiques et sadiques et d’une addiction prononcée à la cocaïne et à l’alcool. En marge de cette affaire sordide, certaines banques s’interrogent sur la nécessité de suivre de plus près l’équilibre psychologique de leurs jeunes recrues. L’expatriation pouvant avoir sur eux des effets extrêmement néfastes.

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