À la poursuite de Maître Eolas

Le plus célèbre des avocats sur Twitter retournera au tribunal le 23 novembre. Poursuivi pour diffamation et injure envers l’Institut pour la justice (IPJ), Maître Eolas, avocat et star d’Internet sous ce pseudonyme, sera jugé devant la cour d’appel de Versailles. L’affaire remonte à l’automne 2011. À quelques mois de l’élection présidentielle, l’Institut pour la justice, association conservatrice mobilisée pour les droits des victimes, contre le laxisme et pour la sécurité, annonce avoir recueilli 1,5 million de signatures pour sa pétition en ligne réclamant « l’impunité zéro pour les atteintes aux personnes et aux biens ». Un succès considérable, dont Maître Eolas, qui relève régulièrement les approximations énoncées par l’IPJ, remet en cause la régularité dans un tweet dénonçant un « compteur bidon de signatures ».

« Par quel processus intellectuel et psychologique un homme fin, délicat et courtois avait-il pu se laisseraller à écrire un tel propos scatologique et si grossièrement indigne ? » Philippe Bilger, magistrat

Quelques heures plus tard, en pleine nuit, il tweete à nouveau : « Je me torcherais bien avec l’IPJ si je n’avais pas peur de salir mon caca. » Une saillie qui provoque la colère de l’association, qui saisit la justice, et la consternation de ses adversaires. Le magistrat Philippe Bilger, sur son blog : « Par quel processus intellectuel et psychologique un homme fin, délicat et courtois avait-il pu se laisser aller à écrire un tel propos scatologique et si grossièrement indigne du débat même le plus basique ? »

« D’un côté, nous avons un Docteur Jekyll extrêmement modéré et pondéré dans son blog et, de l’autre, un Mister Hyde qui, la nuit venue, fait preuve de la malhonnêteté la plus totale », assène Maître Gilles-William Goldnadel, le conseil de l’IPJ lors du procès qui vaut à l’avocat, le 6 octobre 2015, une condamnation à 2 000 euros d’amende avec sursis et 5 000 euros de dommages et intérêts pour « injure publique » et « diffamation ». Si Maître Eolas a minimisé l’affront en plaidant l’hommage au torchecul de Gargantua, ces propos ont fortement nui à l’image de l’IPJ, selon l’association, en raison notamment de la notoriété de l’avocat sur Twitter.

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Suivi par plus de 220 000 personnes, son compte fait le récit de la justice ordinaire, gardes à vue et comparutions immédiates, et y mêle commentaires de l’actualité nationale et obsessions personnelles (séries, thé et rugby).

Tsss, Robert, Robert… Comme toi, Trump méprise les étrangers moins puissants que lui.

Et tu fais partie du lot. https://t.co/Di19E3qgwD

— Mari de Mme Eolas ✏️ (@Maitre_Eolas) 10 novembre 2016

Sur son blog de vulgarisation juridique, « Journal d’un avocat », inauguré en 2004 et devenu un lieu d’échange pour les avocats et les magistrats, l’avocat décrypte dans de longs billets les grandes questions qui agitent la justice française (la grâce de Jacqueline Sauvage, la légitime défense pour les policiers, le rôle du juge d’application des peines). Connu du grand public sous son seul pseudonyme (Eolas, qui signifie « connaissance » en gaélique), l’avocat n’envisage guère de renoncer à son anonymat.

Les journalistes et les professionnels de la justice qui n’ignorent guère son identité jouent le jeu. Sur les plateaux de télévision, le justicier masqué – il a choisi Batman pour sa photo de profil – apparaît flouté. Et si, en octobre 2015, le procès a rassemblé une foule nombreuse d’avocats et de lecteurs de Maître Eolas, curieux de le voir « en vrai », aucun détail sur son identité autre que sa calvitie naissante n’a filtré sur les réseaux sociaux.