En Norvège, des migrants condamnés au retour vers l’inconnu
« Ils parlent de paix, mais ils ne la construiront pas en envoyant des enfants au Yémen ou en Afghanistan. Ils donnent le prix Nobel de la paix à Malala Yousafzai, mais ils ne font pas la paix dans leur vie. » Ces mots simples et durs sont ceux de Josephine, une adolescente nigériane expulsée de Norvège dont la photographe Andrea Gjestvang a suivi le parcours.
Etat providence, pays du prix Nobel de la paix, engagé pour la défense des droits de l’homme, la Norvège bénéficie d’une image positive. Mais le pays change. Cette pétromonarchie subit actuellement les effets de la chute du prix du pétrole. Et en dépit de déclarations humanistes sur les droits des enfants, elle a durci sa politique envers les réfugiés, y compris mineurs. Au gouvernement depuis octobre 2013 dans une coalition aux côtés des conservateurs, le Parti du progrès (FrP), formation populiste et anti-immigrés, imprime sa marque. « Depuis son arrivée au pouvoir, le FrP conduit sa politique de façon agressive. Et les gens l’acceptent, je ne comprends pas », s’indigne Andrea Gjestvang.
Fausses retrouvailles
C’est en lisant, en décembre 2014, une enquête sur les expulsions de mineurs étrangers que la photographe a décidé de s’intéresser à ce sujet. Selon un consensus alors en vigueur, les enfants ayant vécu de longues années en Norvège ne pouvaient être renvoyés dans leur pays d’origine. Une règle tacite qui semble ne plus avoir cours.
Entre avril et juillet 2015, Andrea Gjestvang suit quatre jeunes gens expulsés, avant de revenir à la fin de l’été sur les lieux où ils ont vécu en Norvège. Negin, l’Iranienne, avait fui son pays en 2009 avec sa famille, Amin était arrivé d’Afghanistan la même année. Les sœurs de la famille jordanienne Al-Zanghari vivaient pour certaines depuis 2004 en Norvège. Quant à Richard, venu du Nigeria avec ses parents, son frère et ses deux sœurs, il a passé six ans dans le royaume avant d’être expulsé. Si les histoires et les parcours diffèrent, tous racontent à la photographe le déracinement et ces fausses retrouvailles avec un pays qu’ils ne connaissaient pas ou peu. Un pays où leur famille est parfois toujours en danger.
528 mineurs expulsés en 2015
Alors que le nombre de réfugiés venus essentiellement de Syrie et d’Afghanistan augmentait, la situation n’a fait que se dégrader pour les demandeurs d’asile. En 2015, ils ont été 31 145 à frapper à la porte du pays, un record. Parmi eux, 5 297 mineurs arrivés seuls, les deux tiers en provenance d’Afghanistan. Cette même année, 528 mineurs ont été expulsés du royaume. Dans les conditions actuelles, cela peut prendre jusqu’à trois ans avant qu’un dossier de demande d’asile soit examiné.
La ministre de l’immigration, Sylvi Listhaug, membre du FrP, attise les peurs, soulignant que cette vague migratoire aura des « conséquences dévastatrices » pour la société norvégienne. Fin décembre 2015, elle a déposé un projet de loi qui, s’il est adopté, fera de la Norvège le pays le plus strict d’Europe – avec le Danemark – pour l’accueil des étrangers. Très critiqué notamment par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il doit être revu ce mois-ci.
Comme ailleurs en Europe, la société norvégienne se referme sur elle-même. Ces dernières semaines, des habitants liés à des groupuscules d’extrême droite baptisés les « soldats d’Odin » – dieu de la guerre dans la mythologie nordique – ont commencé à patrouiller dans les rues de certaines villes. Selon de récents sondages, les Norvégiens ne sont plus que 45 % à penser que l’immigration est positive pour leur pays, contre 54 % il y a seulement un an.