Achat du Vantablack par Anish Kapoor : les artistes broient du noir

En achetant les droits exclusifs du Vantablack, un noir très profond, l’artiste britannique a provoqué l’ire de ses pairs.

L'artiste Anish Kappor, lors d'une conférence à Evreux, en septembre 2015.

Anish Kapoor aime les espaces infinis et les trous noirs, les grottes et les gouffres. En toute logique, cet amateur de vertiges perceptifs s’est intéressé au Vantablack, un noir capable d’absorber 99,96 % du spectre visible, mis au point par la société britannique Surrey NanoSystems. En piégeant la lumière, cette matière en nanotubes de carbone gomme tout relief.

Une interview de l’inventeur du Vantablack (reportage de la BBC, durée 4’28’’, en anglais)

Mais quand le plasticien britannique se pique d’acheter les droits exclusifs de ce noir, les artistes, eux, voient rouge. « Je n’ai jamais entendu parler d’un artiste qui monopolise un matériau », fulmine le peintre de la reine Elizabeth II, Christian Furr, dans la presse. D’autres parlent d’absurdité. Kapoor, lui, ne veut rien entendre. « Il n’y a pas de controverse, je n’ai rien à vous dire », nous a-t-il déclaré au téléphone, en raccrochant aussi sec son combiné.

Un mutisme inédit chez un artiste qui se pose volontiers en bretteur indigné. « C’est un geste cynique d’un artiste du Top 10, estime Dominique Païni, commissaire en 2006 de l’exposition « Le noir est une couleur » à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence. A ce niveau, on croit que le monde vous appartient, alors pourquoi pas une couleur. C’est comme de penser que l’argent pourrait acheter des rayons de soleil californien. Au fond, il y a dans ce geste un désespoir mégalomaniaque. »

« Le noir, qu’il soit celui de l’asphalte ou de la nuit noire, appartient à tout le monde. » Benoît Decron, directeur du Musée Soulages, à Rodez

Kapoor pourrait se targuer de quelque antécédent. L’artiste Yves Klein avait certes déposé le brevet pour un bleu outremer qui porte son nom. Mais il n’a pas fait de cette teinte, toujours disponible dans le commerce, un privilège personnel. Quant au noir absolu, beaucoup d’artistes, de Richard Serra à Ad Reinhardt, pourraient s’en revendiquer. « Si le monochrome noir avait un nom propre, ce serait celui d’Ad Reinhardt, poursuit Dominique Païni. Sa persistance à toujours reprendre la même couleur pourrait créer un sentiment de propriété. Mais Reinhardt ne l’a pas confisquée. »

Pas plus que Pierre Soulages, peintre de l’« outrenoir ». « Je pensais que depuis Klein, la question de l’appropriation d’une couleur s’était épuisée, s’étonne Benoît Decron, directeur du Musée Soulages, à Rodez. Le noir, qu’il soit celui de l’asphalte ou de la nuit noire, appartient à tout le monde. » Le Vantablack, lui, n’appartient plus qu’à Kapoor.

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