La générosité calculée de Facebook inquiète les Indiens

En Inde, la polémique fait rage autour de Free Basics, l’application mobile de Facebook offrant un accès gratuit mais limité à Internet. Accusée de bafouer la neutralité du Net, elle y a été temporairement interdite. Depuis, Mark Zuckerberg mène la contre-offensive en invoquant la lutte contre la fracture numérique.

Publicité à l’appui, Facebook présente son application Free Basics comme 
un moyen de réduire la fracture numérique. Ici, à Mumbai en décembre 2015.

La plateforme Free Basics est-elle un joli cadeau de Facebook ou une insupportable entrave à la liberté de choisir ? Le géant américain promeut dans 37 pays une application mobile qui, dans le cadre d’un partenariat avec un opérateur télécoms local, permet aux utilisateurs d’accéder gratuitement sur Internet à une centaine de sites et services, triés sur le volet, sur le milliard que compte la Toile. Un moyen, selon Facebook, de réduire le fossé numérique entre les riches, qui peuvent s’offrir de la bande passante, et les autres. Mais en Inde, cette offre fait polémique. Le pays a décidé le 23 décembre de la suspendre en attendant l’avis de l’autorité de régulation des télécommunications indienne (TRAI) et les conclusions d’une consultation publique sur l’accès à Internet.

La neutralité du Net en débat

Avec Free Basics, les utilisateurs peuvent consulter sans payer la météo, des offres d’emploi, et même des informations sur la santé ou l’agriculture. Encore faut-il que les pauvres sachent lire et écrire, dans un pays où au moins 30 % de la population est analphabète, et qu’ils aient en poche suffisamment de roupies pour s’offrir un smartphone… Mais, demandent les opposants à ce système, si le géant américain voulait vraiment offrir Internet à ceux qui en sont privés, pourquoi en limiter ainsi l’accès à certains sites ?

Lorsque Madras était englouti par les eaux, en décembre, l’offre de Free Basics n’aurait pas permis aux utilisateurs, ou difficilement, d’avoir accès aux sites créés en quelques heures pour venir en aide aux sinistrés. « Si vous dictez aux pauvres ce qu’ils doivent avoir, vous leur enlevez le droit de choisir ce qu’ils pensent être utiles pour eux », estime Naveen Patnaik, le ministre en chef de l’Odisha, un Etat dans l’est de l’Inde.

Le site de partage de vidéos YouTube, qui appartient à son concurrent Google, ne fait pas partie des sites retenus par Free Basics, tout comme le moteur de recherche du même nom. Facebook lui a préféré Bing, développé par Microsoft, qui se trouve être aussi l’un de ses actionnaires. Avec Facebook qui se substitue à Internet, de nombreux Indiens craignent de voirdisparaître le principe de neutralité du Net, qui garantit à tous l’accès à Internet dans son intégralité.

Dans un communiqué rendu public le 30 décembre, un collectif de chercheurs indiens s’inquiète du rôle que s’octroie Facebook. Ils s’inquiètent également du contrôle que peut exercer l’entreprise sur toutes les données et informations personnelles qui transiteront sur ses serveurs.

Des sociétés craignent aussi que Facebook, voulant fonder un royaume dans l’univers d‘Internet, puisse à son gré en fermer les portes ou faire payer des droits d’entrée. Certains rétorquent que d’autres opérateurs ou géants d’Internet pourraient eux aussi offrir un accès gratuit à quelques sites de leur choix. « Ce serait l’apartheid numérique », s’insurge Mahesh Murthy, un jeune entrepreneur, fondateur de Pinstorm, une agence de conseil en marketing digital.

Un marché gigantesque

Dans une tribune publiée fin décembre par le quotidien Times of India, le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, s’étonne des critiques suscitées par son projet. Le multimilliardaire de la Silicon Valley va même jusqu’à affirmer qu’un pauvre sur dix peut sortir de la misère en se connectant à Internet, sans que l’on sache d’où provient cette statistique.

Pour convaincre les autorités indiennes, Facebook ne lésine pas sur les moyens, puisque l’entreprise s’est offert une immense campagne de publicité. Rarement une entreprise aura dépensé autant d’argent pour une action qu’elle présente comme philanthropique… Le marché indien constitue un énorme potentiel. Le pays ne compte pour l’instant que 150 millions d’abonnés Facebook, un chiffre en augmentation rapide. Pour une entreprise qui se rémunère sur la publicité, l’acquisition de nouveaux utilisateurs dans ce pays peuplé de 1,2 milliard d’habitants s’avère cruciale. La gratuité de Free Basics pourrait bien un jour rapporter beaucoup d’argent à Facebook.

Lire aussi : Mark Zuckerberg veut « connecter le monde » à Internet d’ici cinq ans