Bâtiment : Bouygues s’attaque au recyclage des déchets de chantier
D’une part, des objectifs ambitieux à des échéances très courtes: 70% des déchets du bâtiment valorisés d’ici 2020, selon la loi de transition énergétique de 2015. De l’autre, une industrie très en retard en matière d’économie circulaire, ne valorisant encore qu’environ un tiers des 38 millions de tonnes de déchets produits annuellement. Et à l’horizon, le gigantesque chantier du Grand Paris, impliquant la gestion d’énormes flux de matériaux.
Conscient de l’urgence de résoudre ces contradictions, Bouygues Immobilier commence enfin à explorer les solutions. Le constructeur français vient de lancer un premier test à l’échelle industrielle de la valorisation de ses déchets de chantier.
Tous les acteurs réunis
L’expérience, « unique à cette taille », est menée à Bagneux (Hauts-de-Seine), sur un ancien site du groupe pharmaceutique Sanofi de près d’un hectare. D’ici 2019, Bouygues Immobilier va y construire 5.000 mètres carrés de bureaux, quelque 200 logements, une résidence étudiante et des jardins partagés. Lors de la démolition des anciens bâtiments, inoccupés depuis 2010 – et dont un seul sera partiellement conservé -, le promoteur immobilier s’est fixé comme objectif de recycler 80% des matériaux du site. Une obligation de résultat fixée en fonction des lieux, mais en même temps plutôt cohérente avec les préconisations du projet Démoclès, issues d’une étude collaborative menées par une quarantaine d’organismes et administrations sur 19 chantiers.
« Comme nous l’avons été pour les bâtiments à énergie positive, nous voulons être parmi les pilotes de la transition vers l’économie circulaire », affirme Franck Hélary, directeur général pour la métropole du Grand Paris chez Bouygues Immobilier. Cette ambition demande de « monter une véritable filière de recyclage créatrice de valeur économique et réunissant tous les acteurs: maîtres d’ouvrage, bureaux d’étude, entreprises de transformation et revalorisation des déchets, éco-organismes, associations », explique-t-il. C’est justement sa structure qui est ébauchée à Bagneux.
Des cahiers de charges exigeants
Après avoir recensé les divers matériaux présents dans les 27.000 mètres carrés de surface de plancher du site, la société ACI, missionnée par Bouygues pour la maîtrise d’ouvrage, est donc partie à la recherche de partenaires. Recyclum, Eco-systèmes, Saint-Gobain figurent parmi ceux ayant accepté de contribuer au recyclage des déchets du site. ACI s’est chargée de définir en amont la logistique permettant de respecter leurs cahiers de charges : modalités de curetage des bâtiments, de stockage sur place des matériaux, de transport par camion jusqu’aux industriels, autant d’étapes pouvant influer sur la qualité des matériaux transmis au recycleur.
« Saint-Gobain craignait notamment que notre verre ne contienne des cailloux, ce qui aurait engendré un arrêt de tout son processus de production. C’est pourquoi, nous avons décidé que les fenêtres des divers immeubles ne seront démontées qu’après avoir terminé leur curetage », illustre Sébastien Fauchois, fondateur d’ACI. L’objectif est de récupérer 80 tonnes de verre. De même, il a fallu assurer au même industriel que le plâtre destiné à être transformé en plaques sera conservé au sec, et vérifier que préalablement au recyclage il était bien possible de séparer mécaniquement les chevilles encastrées dans les anciens carreaux…
360 tonnes de plâtre
Depuis janvier 2017, date de début des opérations, le processus de déconstruction validé en 2013 a néanmoins dû être revu à plusieurs reprises, pour faire face à la réalité du chantier. Alors que selon les prévisions initiales le curetage devait être entièrement effectué à la main, la nécessité de tenir les délais a notamment imposé d’intégrer une partie de démolition industrielle, en trouvant des engins dimensionnés aux locaux des bâtiments. La découverte de quelques gaines en amiante a imposé l’adoption de précautions particulières.
Cependant, en trois mois, 360 tonnes de plâtre ont déjà pu être récupérées, ainsi que 480 tonnes de bois, 54 tonnes de ferraille, 4,30 tonnes de tubes néon et de disjoncteurs, 170 tonnes de dalles de moquettes et 384 tonnes de déchets industriels banals (bois en mauvais état, doublages etc.). Mais surtout, « aucun retour négatif des partenaires n’a été enregistré », souligne Sébastien Fauchois.
Quelque 80% des 24 personnes ayant travaillé à la déconstruction étaient par ailleurs en insertion, met encore en avant Bouygues. Le béton, qui sera démoli une fois le curetage terminé, sera concassé sur le site, et utilisé pour les remblais: ainsi, au total, 80% des matériaux récupérés sera réutilisé sur place.
Une opération rentable?
Même si un véritable bilan ne pourra être réalisé qu’à la fin, l’opération se révèle par ailleurs pour le moment économiquement viable. S’agissant d’un démonstrateur, Bouygues n’a au départ pas posé de limites de coûts, témoigne Sébastien Fauchois. Mais, pour le moment, l’enveloppe des frais lui semble « cohérente avec celle d’une simple démolition ». Le surplus de main d’oeuvre requis par le curetage paraît en effet compenser les coûts de la mise à la décharge traditionnelle.
Franck Hélary estime même que, à plus long terme, la démarche pourrait devenir rentable, notamment dès lors que le processus sera suffisamment fiable pour que les matière récupérées puissent être commercialisées. « L’essentiel consiste dans l’anticipation », souligne-t-il. Le test de Bagneux vise justement à convaincre les « sceptiques », encore nombreux dans le secteur de la démolition selon Sébastien Fauchois.