Le cheval comme remède
Quand un chasseur sibérien rencontre un renne, il tente de le séduire en lui offrant une image magnifiée de lui-même : vêtu de peaux de renne et de parures, il imite ses pas, sa démarche chaloupée, son port de tête… Si le renne est séduit, il s’approche, et certains chasseurs rapportent avoir alors eu le sentiment de rencontrer un vieil ami. L’imitation corporelle du chasseur est un moyen de « devenir renne » aux yeux du renne, mais le processus est si puissant que le chasseur doit être vigilant et veiller à rester humain. Sinon, il oubliera le chemin du village et deviendra un renne parmi les rennes.
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Le photographe Charles Mostoller a ainsi suivi à Philadelphie des jeunes en difficulté qui reprennent confiance en pratiquant l’équitation.Abdurrahman « Man-Man » Early (cavalier au premier plan), 16 ans à l’époque du reportage, en 2014, et Shahir Drayton, 17 ans. Tous deux se rendent régulièrement dans une écurie d’un quartier défavorisé de Philadelphie pour se changer les idées. « Etre au milieu des chevaux ôte les problèmes de mes épaules », confie Man-Man.
Charles Mostoller
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Pour un Européen, l’histoire semble tirée par les cheveux car, selon lui, l’identité humaine est acquise une fois pour toutes. Pourtant, il y a aussi dans notre rapport aux animaux une indétermination fondamentale : au fond, nous ne savons pas très bien qui ils sont. Gibier, compagnon, être sensible, préparation de laboratoire, ces catégories culturelles ne sont que des filtres à travers lesquels les animaux sont perçus… ou non. En deçà de ces catégories, c’est-à-dire au plus près de l’expérience de la rencontre, les animaux nous touchent par leur corps de façon souterraine. Comme le chasseur sibérien, nous sommes sensibles à leur corps expressif. Même une mouche qui agonise, si on la regarde avec attention, peut nous bouleverser.
Devenir un peu animal
Selon l’anthropologue Kay Milton, cette sensibilité aux corps expressifs des animaux repose sur l’identification. Pour donner la parole aux animaux, il faut alors savoirentendre dans son propre corps l’écho qu’ils produisent, c’est-à-dire devenir un peu animal. Que l’on soit chasseur sibérien ou adolescent en quête de repères, cette sensibilité, qui n’est pas sensiblerie, est à la base de la communication muette qui se joue dans la rencontre avec un animal. Et c’est là-dessus, sur ce que les animaux nous font, et sur ce qu’ils font à l’identité profonde, que sont fondés les programmes de thérapie incluant des animaux.
Ces programmes ouvrent à des modalités de l’exister et de l’être en relation qui restent difficilement accessibles dans des thérapies plus classiques. La présence animale remobilise le corps, les émotions et l’attention. Elle permet littéralement aux expériences de (re) prendre corps et consistance, à partir d’une base sensorielle et émotionnelle différente des interactions humaines : ici, pas d’enjeu hors le plaisir si particulier de l’être-en-relation. Toucher, regarder, embrasser, approcher, reculer, contourner, éprouver, protéger, dominer, tressaillir… dans cette communication non verbale, être en relation devient palpable et la relation elle-même finit par devenir un espace dans lequel évoluer et oser exister. Beaucoup de zoothérapeutes parlent à ce propos de « restauration de la confiance en soi », mais ce qui se produit est souvent plus profond : il s’agit de la restauration d’un rapport à soi et d’un rapport créatif avec le monde.
Psychologue et anthropologue à l’Université de Liège, Véronique Servais étudie les interactions entre humains et animaux, notamment dans un cadre thérapeutique. Dernier ouvrage paru : La Science [humaine] des chiens, Editions du Bord de l’eau, 304 p. 22 €.
A voir, la série « Concrete Cowboys » du photographe Charles Mostoller sur http://www.charlesmostoller.com
Par Véronique Servais