Pour tenter de soulager la détresse morale et financière d’un nombre croissant d’exploitants, des cellules de crise proposent soutien et conseils. Tant bien que mal. Exemple en Haute-Garonne.
Au bout d’un chemin boueux, des engins déglingués jonchent le sol humide. Même les bottes de foin s’affaissent sous le hangar. Paysage chaotique, douloureux, reflet du quotidien des Melou, une famille d’agriculteurs qui n’a plus la force de mettre de l’ordre dans sa vie. Loin de l’effervescence du Salon de l’agriculture, qui ouvre ses portes ce 27 février. A la tête de la ferme située à Verfeil, à 30 km de Toulouse, Didier, 30 ans, solide gaillard au visage poupin, reçoit ce matin les représentantes de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne. Elles sont là pour tenter de sauver l’entreprise familiale : 80 hectares de céréales, de prairie et 56 vaches laitières.
Quand Didier a repris, il y a neuf ans, l’exploitation endettée de ses parents, il était loin d’imaginer la série noire qui allait le mettre à terre. Permis de modernisation du bâtiment d’élevage bloqué pendant quatre ans par une voisine procédurière. Nouvelle machine de traite payée, mais jamais livrée. Douze jours de suspension de production dus à une erreur de la coopérative laitière. « Je n’ai plus de solutions », confie Didier, en avril, à sa conseillère agricole. Elle le convainc d’intégrer la cellule de crise de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne.
“Certains agriculteurs n’osent pas nous contacter”
Créée en 2012 pour venir en aide aux exploitants en détresse toujours plus nombreux, cette structure réunit tous les acteurs de la filière – banques, réseaux de conseils et d’experts-comptables, assurances, mutualité sociale agricole (MSA), coopératives – organisés en comité chargé de trouver des solutions avant la faillite. Plusieurs fois par mois, à Toulouse, les partenaires échangent. Si le rendement de l’exploitation est inférieur à la moyenne, ils proposent au paysan en difficulté un suivi avec des conseils de gestion. Parfois les banques acceptent de suspendre les intérêts des emprunts, d’échelonner les impayés. La MSA de reporter les cotisations sociales.
Mais ces faveurs restent difficiles à obtenir. Après quelques mois, la situation de Didier vient d’être réexaminée. Dans son salon, l’heure est au compte rendu. « Il faut que tu gardes ton troupeau et que tu transformes tes vaches à lait en vaches à viande », relayent Laure Serres, coordinatrice de la cellule, et Brigitte Campos, en charge des conseillers agricoles. « Mais oui ! Ça ne vaut plus rien », lâche son père, Robert, 64 ans, silhouette usée, jusqu’alors mutique dans le canapé. Le front suant, Didier acquiesce, soulagé. Il savait qu’il fallait abandonner le lait. Les deux représentantes sont là pour le guider. Surtout ne pas le lâcher, lui rendre visite.
Certains, comme Didier, confient leur détresse à des conseillers agricoles qui font le tour des fermes plusieurs fois par an. D’autres appellent le numéro mis en place par la chambre d’agriculture. Les banques, la mutualité sociale agricole et les coopératives sont en alerte. Elles signalent les surendettements à la cellule de crise qui contacte l’agriculteur. S’il est d’accord, il reçoit l’aide de la chambre. Difficile néanmoins de repérer les exploitants en difficulté. « On travaille main dans la main avec les partenaires. Mais certains agriculteurs n’osent pas nous contacter par pudeur et honte », admet Brigitte Campos.
“Honnêtement, ça ne me sert pas à grand-chose. Quelques conseils… Et une lettre au fournisseur qui ne m’a pas livré ma machine à traire. Ce n’est pas ça qui va me sortir du pétrin.” Didier Melou
Didier, lui, n’abandonnera jamais. Il espère même se verser un salaire un jour. « J’ai intégré la cellule, car je me disais : “Si tu continues comme ça, dans un an, c’est fini.” Et ça, je ne peux pas l’envisager, je suis un battant ! » Tous n’ont pas cette force. « Beaucoup ferment les volets en apercevant le facteur. Ils ont une peur terrible des factures qu’ils ne peuvent plus payer. Ils deviennent agressifs et, le risque, c’est que cette colère se retourne contre eux », déplore Laure Serres.
Face à l’ampleur du malaise agricole, l’action de la cellule de crise semble dérisoire. Depuis 2012, seuls 29 agriculteurs sont suivis dans le département. Ils sont pourtant des centaines au bord du précipice. « Honnêtement, ça ne me sert pas à grand-chose. Quelques conseils… Et une lettre au fournisseur qui ne m’a pas livré ma machine à traire. Ce n’est pas ça qui va me sortir du pétrin », tranche Didier devant les représentantes médusées.
Une fois à l’écart, les deux femmes relativisent. « Il ne l’a pas réalisé, mais il a beaucoup avancé », chuchote Brigitte. « On fait ce qu’on peut », reprend Laure. Pas suffisant pour stopper l’hémorragie. En 2016, la Haute-Garonne compte 5 880 agriculteurs, contre 6 400 en 2010. La moitié des exploitations bovins-lait a disparu depuis 2000, elles ne sont plus que 180 dans le département.
Pour l’agriculteur, la situation paraît sans issue. « L’idée du suicide m’a chatouillé », murmure Didier, le regard vide. Souffrant d’une maladie orpheline depuis son enfance, l’exploitant s’est ressaisi : « J’ai frôlé la mort donc, pour moi, la vie est sacrée. Même si on doit se retrouver sous les ponts, je me dis qu’il y aura toujours une petite étoile. » Beaucoup ne se sont pas raccrochés à cette lueur d’espoir. Selon les derniers chiffres de 2013, tous les deux jours en France, un agriculteur met fin à ses jours.
Par Elsa Mari
Lire aussi : Comment sortir de la crise agricole ?
Le Monde | 26.02.2016 à 12h14 • Mis à jour le26.02.2016 à 14h10 |Par Marc Beaugé (Magazine)
Fin du carnaval. Ecarté par Bolloré, le patron d’Universal Music France quitte la première major du disque après dix-huit ans de bons et loyaux services vestimentaires.
En 2001, à la bonne heure
A 40 ans, Pascal Nègre peut sourire. Lui, le petit-fils de paysans, fils d’employés des PTT, DJ sur Ouest FM, attaché de presse pour BMG, a cru en son destin (quand on est né le même jour que Barack Obama, comment ne pas y croire ?) et a gravi tous les échelons jusqu’à la présidence de PolyGram. Pascal Nègre est un nouveau riche. A quoi le voit-on ? A son nouvel ami, Jean-Marie Messier, et à cette montre qu’ils portent tous les deux, la Tank de Cartier, tout premier modèle rectangulaire de l’histoire. Si à 40 ans, on n’a pas une Cartier, c’est qu’on a raté sa vie !
En 2005, comme une fleur
Désormais membre du comité de direction d’Universal, Pascal Nègre peut tout se permettre. Le voilà à Cannes, une accréd’ autour du cou. Le smoking est obligatoire pour grimper les marches, mais peu importe. En 1953, Picasso avait bien reçu l’autorisation de les monter vêtu d’une simple pelisse en mouton. Alors pourquoi pas lui, en chemise à imprimé tropical ?
En 2011, pas un pli
Six ans plus tard, les temps ont changé. Fragilisée par Internet, l’industrie musicale se porte de plus en plus mal, mais Pascal s’accroche. Il lutte pour trouver le modèle économique qui sauvera le secteur. C’est en tout cas le discours officiel. Car, en coulisses, il met ses billes ailleurs. Cette même année, Nègre achète deux pressings à Tours. Ce qui lui permet d’arborer un costume en velours côtelé moutarde sans le moindre pli. Mais gare tout de même : les élégants savent qu’il ne faut pas mettre un costume au pressing plus de deux fois par an, au risque de l’abîmer.
En 2012, sur le carreau
Dans les couloirs de Bercy, Pascal pose au côté de Michel Sardou, en souvenir des « Grands moments ». Car rien n’y fait : l’industrie musicale continue de s’effondrer. Même l’imprimé de son ensemble trahit la sinistrose ambiante. Son nom ? Windowpane, autrement dit « carreaux de fenêtre ». Parfait pour se jeter dans le vide.
En 2015, pris à la gorge
La fin est proche et Pascal Nègre savoure à fond ses derniers instants à la tête d’Universal. Il tient un verre dans chaque main et arbore un smoking (reconnaissable à ses revers satinés et à son unique bouton), imprimé léopard. Avec les chutes, Pascal a même demandé à son tailleur de lui confectionner une fine écharpe. L’homme se doute-t-il qu’il court un grave danger ? Vincent Bolloré aime serrer les ceintures. Mais il sait aussi serrer les écharpes.
Lire aussi : Universal : l’iconique Pascal Nègre remplacé par le discret Olivier Nusse
L’un et l’autre sont conservateurs mais s’opposent sur tout. En particulier sur le “Brexit”. Une sortie de l’UE que refuse le pragmatique premier ministre et qu’espère le pétulant maire de Londres.
David Cameron
Pour l’Europe “à la carte”
Il lui a fallu trente heures de négociations à Bruxelles, les 18 et 19 février. En obtenant « un statut spécial » pour le Royaume-Uni, David Cameron veut convaincre les Britanniques de ne pas voter pour la sortie de l’Union européenne lors du référendum du 23 juin.
En poste
Le référendum était une promesse de campagne de David Cameron, lorsqu’il briguait un second mandat de premier ministre. Une concession faite à son électorat, en grande partie eurosceptique. Réélu, il défend une Europe « réformée ».
Le gendre idéal
Etudiant à la prestigieuse école d’Eton puis à l’université d’Oxford, fils de bonne famille, David Cameron est un excellent orateur, qui donne l’impression que tout est toujours facile. Au risque parfois de sembler déconnecté de la « vraie vie ».
Voie toute tracée
En 2005, à 39 ans, il remporte la tête des Tories. En 2010, David Cameron est devenu le premier ministre britannique le plus jeune, à 43 ans. Il se dit « moderne et compatissant ». Ses détracteurs le décrivent comme un pragmatique aux convictions élastiques.
“David Cameron, l’homme né pour gouverner”,France 2, le 9 mai 2015 (2:59)
David Cameron, l’homme né pour gouverner
Boris Johnson
Pour le “Brexit”
En se prononçant pour le « Brexit » dimanche 21 février, malgré l’accord, Boris Johnson a jeté un pavé dans la mare des Tories. Le maire de Londres se pose ainsi en premier opposant au premier ministre, alors qu’ils appartiennent au même camp.
En chasse
A 51 ans, il ne fait pas mystère de son envie de prendre la tête des Tories, voire d’investir le 10 Downing Street. En cas d’échec au référendum, David Cameron risque d’être poussé à la démission. La place serait libre…
Le trublion “Bojo”
Les cheveux blonds ébouriffés, une vanne ou une gaffe toujours sous le coude, Boris Johnson est aussi excentrique que le premier ministre est propre sur lui. Il n’en est pas moins, lui aussi, un pur produit d’Eton et d’Oxford, mais il sait le faire oublier.
Deuxième vocation
Il a d’abord été journaliste. Stagiaire au Times, il s’est fait virer pour avoir inventé une citation. Ce qui ne l’a pas empêché de diriger le Spectator et de devenir chroniqueur remarqué, à Bruxelles, pour le Daily Telegraph. L’euroscepticisme faisait déjà son miel.
Lire aussi, le portrait de Boris Johnson publié dans M en 2013 (abonnés) : Boris Johnson, pour les Anglais en sont tous fous
« Ici, c’est parfait pour s’entraîner, mais sinon, la vie est un peu triste. » La remarque d’Akira Nakashiki, responsable administratif de l’école de keirin d’Izu, est compréhensible. A une centaine de kilomètres au sud de Tokyo, dans un décor dominé par l’élégant mont Fuji, l’établissement et ses bâtiments blancs vieillissants semblent bien isolés.
Installée dans son écrin de verdure depuis 1968 après avoir été à Chofu, dans la métropole de Tokyo, cette école unique au monde forme dans des conditions strictes, mais idéales, les futurs coureurs de cette discipline particulière du cyclisme sur piste. Née au Japon en 1948, elle est devenue épreuve olympique en 2000 pour les hommes, et en 2012 pour les femmes. « Tout le monde peut se présenter, explique Akira Nakashiki. Il suffit juste d’avoir terminé le lycée et de réussir l’examen d’entrée pour cette formation d’un an. »
Une discipline de fer
En 2015, il y eut 70 garçons admis sur 300 candidats. Depuis quatre ans, les filles sont acceptées. « Ça a changé, car les médias se sont intéressés aux coureuses se préparant aux Jeux olympiques. » Une vingtaine d’entre elles, sur 60 qui le souhaitaient, ont intégré l’établissement en 2015.
Hiroyo Shigemitsu, plus grande et plus puissante que la moyenne japonaise, fait partie de la première génération de filles diplômées de l’école. « Avant je faisais du volley-ball, puis j’ai travaillé un an, mais j’ai eu envie de reprendre un sport. J’ai choisi le keirin. » Une discipline qui attire pour son intensité et son côté spectaculaire, avec ses neuf coureurs lancés parfois à près de 80 km/h sur les pistes de béton pour un sprint de 2 km.
A Izu, la discipline est de fer. Pas de téléphone portable, pas d’Internet, debout à 6 h 30 pour une journée intense avec notamment les cours techniques – chacun doit savoir s’occuper de son vélo – et les exercices comme la redoutée ascension d’une côte à 14 %. « Les étudiants détestent ça », s’amuse Akira Nakashiki. Ici, l’objectif n’est pas les Jeux olympiques, ni les championnats du monde. Même si d’anciens pensionnaires ont pu y briller, comme Koichi Nakano, champion du monde dix ans de suite dans les années 1970-80. Le but premier reste de former les coureurs qui intégreront le circuit professionnel nippon et ses pistes de 333, 400 ou 500 mètres [celles des compétitions internationales font 250 mètres, NDLR]. Mais l’établissement accueille aussi des stars internationales pour des stages. Le Français François Pervis, champion du monde en titre, est de ceux-là. Il a même un casier à son nom orné d’un petit drapeau tricolore dans l’atelier de préparation des vélos.
Une fois diplômés, les coureurs enchaînent les compétitions. Le choix est vaste : le Japon abrite 45 vélodromes, qui organisent chacun environ 70 courses par an. « Un pro gagne en moyenne 15 millions de yens [118 000 euros] sur un an », explique Hisashi Fuji, du Centre japonais du cyclisme. Mais l’objectif est surtout de remporter, comme la star actuelle Kota Asai en 2015, le prestigieux Grand Prix, couru le 30 décembre au Keio Kaku keirinjo de Tokyo, et doté de 100 millions de yens [787 000 euros].
Rétablir une réputation devenue sulfureuse
Au-delà de la formation des athlètes, l’école espère aussi contribuer à redorer le blason du keirin, qui ne jouit pas toujours d’une bonne réputation. D’une part se pose la question du dopage : « Comme ce sport n’est pas lié au circuit international, la JADA [Agence antidopage du Japon] n’a pas vraiment de politique de contrôle », admet Hisashi Fuji – l’école, qui met l’accent sur les vertus de l’effort, affirme sensibiliser ses pensionnaires à ce problème.
D’autre part, beaucoup de Japonais considèrent le keirin non pas comme un sport, mais comme un jeu d’argent : les paris sont institutionnalisés car ils financent la discipline, ce depuis 1948, date de sa professionnalisation dans un Japon d’après-guerre exsangue. Cette activité, encouragée par le gouvernement, devait aussi lever des fonds pour la reconstruction.
A découvriren images : A Izu, un an en circuit fermé
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Au centre d’Izu, la discipline règne : les élèves sont au garde-à-vous pour écouter les consignes de l’entraîneur.
Alexis Armanet pour M Le magazine du Monde
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Aujourd’hui, cette dépendance vis-à-vis des paris se fait sentir. La « manne » fond à mesure que les jeunes s’en désintéressent ; et le nombre de coureurs professionnels baisse (2 545 en 2015, contre 3 300 en 2010). C’est également pour cette raison qu’à Izu on accepte désormais les filles. Akira Nakashiki les met en avant : « Elles rajeunissent et rafraîchissent un peu l’image du keirin. »
Les athlètes du centre de formation d’Izu en images
Le centre de formation d’Izu, au Japon, entraîne dans des conditions strictes les futurs coureurs professionnel de keirin, discipline spectaculaire du cyclisme sur piste. Dans ce lieu éloigné des villes, les élèves coureurs mettent, un an durant, leur vie sociale entre parenthèses, sans téléphone portable, ni Internet, debout dès 6 h 30 pour une journée intense. Le photographe Alexis Armanet a saisi des moments de vie, d’entraînement, de course, dans cet endroit unique au monde.
Le Monde | 19.02.2016 à 18h21 • Mis à jour le19.02.2016 à 21h41 |Par Roxana Azimi
Ce riche financier conseille un fonds souverain de son pays, rattrapé par un important scandale. Il vient de se délester de toiles de maîtres à des prix inhabituellement bas pour éponger ses dettes. Fin de partie ?
Un héritier doué
Qui aurait soupçonné que derrière trois gros lots dispersés en février chez Sotheby’s se cachait le Malaisien Low Taek Jho ? Ce financier de 34 ans basé à Hongkong a tout du nouveau riche. La fortune familiale remonte pourtant à son grand-père, un Chinois qui a investi dans une raffinerie d’alcool et des mines en Thaïlande et en Malaisie. Son père a poursuivi dans l’immobilier. Low Taek Jho (également appelé Jho Low), lui, a su tirer parti de son réseau moyen-oriental tissé lors de ses études à Harrow, prestigieuse école britannique.
Un mondain philanthrope
Low Taek Jho aime les projecteurs. Le play-boy joufflu fraie avec les célébrités, de la party girl Paris Hilton au rappeur Usher. Il a même demandé en mariage la chanteuse taïwanaise Elva Hsiao – qui a décliné sa proposition – en lui offrant 2 millions de dollars de bijoux lors d’une hallucinante fête privée (mais filmée) qui lui aurait coûté près de 1 million de dollars. Le fêtard donne aussi dans le caritatif grâce à une fondation créée en 2012. « La philanthropie, c’est cool. C’est tendance. Est-ce bon pour le business ? Bien sûr ! »,déclarait-il au magazine économique Forbes au printemps dernier.
Un conseiller sulfureux
Le nom de Low Taek Jho a surgi l’an dernier dans un scandale financier impliquant le premier ministre malaisien Najib Razak. Ce dernier préside le fonds d’investissement souverain malaisien, 1MDB, dont près de 4 milliards de dollars auraient été détournés. Conseiller de ce fonds, Low Taek Jho a été entendu par la justice. D’après le New York Times, il aurait aussi vendu des biens immobiliers américains à une société écran détenue par le beau-fils de Najib Razak.
Un amateur d’art flambeur
En à peine deux ans, Low Taek Jho aurait dépensé 200 millions de dollars dans des œuvres d’art. Selon Bloomberg, il aurait récemment cédé chez Sotheby’s trois œuvres de Claude Monet, Pablo Picasso et Jean-Michel Basquiat pour un total de 54 millions de dollars, une valeur nettement inférieure à leur cote. La vente aurait été réalisée pour rembourser une dette de 100 millions de dollars contractée auprès des services financiers de la maison de vente.
Il y a beaucoup de moteurs dans la vie vrombissante de Tony Elumelu. Ceux de son jet privé, qui vient de le ramener du forum de Davos. Ceux de l’avion qui le transportera dans trois jours à Washington. Ceux de ses voitures de luxe, blindées pour la plupart. Ou ceux des groupes électrogènes qui alimentent, à chaque coupure de réseau, son manoir et ses bureaux d’Ikoyi, un quartier huppé de Lagos.
Mais son moteur à lui, c’est sans doute de rester l’un des milliardaires nigérians les plus courtisés du moment, que viennent consulter, tel un oracle, hommes d’affaires et diplomates occidentaux. Car à 52 ans, Tony Elumelu dirige simultanément l’une des grandes banques d’Afrique, United Bank for Africa (UBA), présente dans dix-neuf pays, à Londres et à New York, et Transcorp, le plus important conglomérat coté en Bourse au Nigeria. Sans compter sa société d’investissements, Heirs Holdings, grâce à laquelle il détient des parts dans des secteurs aussi variés que les hydrocarbures, les services financiers, l’hôtellerie, la pétrochimie, l’agriculture, les infrastructures et l’énergie.
Le Medef lui fait les yeux doux
Une position qui lui vaut de faire partie du club des hyperriches de la planète et d’inspirer les jeunes entrepreneurs africains. A Davos, en janvier, il a retrouvé ses amis chefs d’Etat et de gouvernement, comme Haile Mariam Dessalegn, premier ministre de l’Ethiopie, un pays où la croissance dépasse désormais les 10 %.
Il s’amuse à raconter son déjeuner avec les patrons de Microsoft, de Total et d’autres multinationales. « J’étais le seul Africain autour de la table », s’esclaffe-t-il, pas dupe du manège des hommes d’affaires occidentaux prêts à tout pour entrer sur le marché nigérian, pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 170 millions d’habitants.
Le Medef lui a ainsi rendu visite, en octobre 2015 à Lagos, avant de le recevoir un mois plus tard à Paris dans l’espoir qu’il privilégiera les bords de Seine à ceux de la Tamise pour installer le siège européen d’UBA et qu’il facilitera l’entrée au Nigeria des grands groupes du CAC 40. « Cette année, nous allons développer notre structure parisienne, d’où seront pilotées certaines de nos opérations dans les pays d’Afrique francophone et d’Afrique du Nord comme le Maroc », assure-t-il.
Lire aussi Tony Elumelu : « L’africapitalisme se porte bien, merci ! »
Mais on sent bien qu’il n’est pas pressé et ne sait trop quoi penser de cette France arrogante à l’égard de l’Afrique qu’il observe comme un nouveau riche scrute l’ancien monde. « Ce sont d’abord les entrepreneurs africains qu’il faut privilégier car ce sont eux qui vont développer l’Afrique. »
De ce credo sur les vertus d’un capitalisme adapté aux réalités africaines, il a tiré une théorie qu’il martèle à chacune de ses interventions aussi soignées qu’une conférence TED : l’« africapitalisme ». Une vision ultralibérale pétrie de « dignité africaine », qui appelle au « début de la fin de l’aide étrangère », rééquilibre le rapport aux investisseurs étrangers et met le secteur privé au cœur du développement. « Autrefois, nous avions tendance à nous reposer sur le gouvernement, à tout attendre de l’Etat, et à nous plier aux exigences des groupes étrangers. Cette période est révolue. Et la tendance s’inverse même », affirme-t-il.
Lagos, la cité de tous les possibles
C’est ici, à Lagos, que tout commence. Cette mégapole de plus de 17 millions d’habitants shootés à la croissance, au travail et aux rêves de richesse s’étire à perte de vue sur les marécages et les eaux sales du lagon, de multiples ponts relient les îles à la terre ferme. Dans cette cité de tous les possibles, des constructions adventives côtoient des tours modernes entre lesquelles circulent troupeaux de chèvres et 4 × 4 limousines rutilants. On y débarque de tout le pays, de toute l’Afrique pour s’y mesurer. Passage obligé de l’entrepreneur africain de ce début de XXIe siècle. Ici, l’homme d’affaires moyen possède quatre cartes de visite.
Il est 6 h 30. Comme chaque matin, la BMW de Tony Elumelu, suivie d’une voiture chargée de son escorte privée, pénètre dans les jardins soignés de Heirs Holdings. Entre les open space design de ce bâtiment cubique, les palmiers et les jeunes, nez sur leur Mac, installés au bord de la piscine, on se croirait dans une version fantasmée de la Silicon Valley. Certains employés, arrivés à l’aube pour éviter les embouteillages, sont déjà à pied d’œuvre.
Tony Elumelu retrouve son coach et enfourche un vélo dans la salle de sport au rez-de-chaussée. Ses gardes du corps peuvent souffler un instant. « Etre riche au Nigeria fait de vous une cible », dit un de ces colosses au regard implacable. Le kidnapping est une industrie presque comme une autre dans ce pays qui compte 15 000 millionnaires, des dizaines de milliardaires… et plus de 120 millions de gens vivant avec moins d’un dollar par jour.
« Même les villages ne sont plus sûrs », déplore Tony Elumelu, qui a troqué sa tenue de sport contre un costume bleu et une éternelle cravate rouge. Il y a quatre ans, sa propre mère a été brièvement kidnappée dans le village familial, située dans l’Etat du Delta, région pétrolière et pourtant pauvre du Sud.
Un carnet d’adresses impressionnant
Chrétien de l’ethnie Ibo, Tony Elumelu a grandi à Jos, une ville du centre du pays, cible régulière de la secte islamiste Boko Haram. « Mon père était dans la construction et ma mère tenait un restaurant. Je n’ai manqué de rien, mais tout était limité : une seule paire de chaussures, quelques livres et très peu d’électricité », raconte-t-il. Pour une fois, ses yeux se tournent vers le sol. « C’est ainsi que j’ai appris à gérer mes ressources et à créer de la valeur en travaillant dur. »Réussir était son rêve d’enfant de la classe moyenne. « J’ai beau être devenu très riche, ma vie n’est pas forcément plus agréable », constate-t-il aujourd’hui.
Dans les affaires comme en famille, l’homme a pourtant l’air comblé et tient à le montrer. Ce dimanche après-midi, Tony Elumelu incarne à merveille son propre personnage lorsqu’il reçoit en jeans, tee-shirt et tongs au bord de la piscine de son gigantesque manoir d’Ikoyi, situé dans l’une de ces rues propres et ultrasécurisées de Lagos où les prix de l’immobilier sont parmi les plus élevés d’Afrique. Il se prête au jeu de la photo, suggère des cadres et des poses. Il aime ça.
Aux murs de son salon au design froid comme les dalles de marbre blanc sur lesquelles claquent les talons du maître de maison, on le retrouve encadré et souriant au côté de son épouse, de ses sept enfants, de Jean Paul II, de chefs d’Etat…
Il faut sans doute avoir une ambition démesurée, un sacré entregent mais aussi la foi et un brin de mégalomanie pour s’imposer à Lagos. A l’entrée de son bureau, Tony Elumelu a également mis en évidence une photo de lui en compagnie du chef d’Etat Muhammadu Buhari, élu en mars 2015. Comme pour rappeler à ses visiteurs la puissance de ses réseaux.
Ce jour-là, ses triplées de 9 ans suivent un cours particulier de natation sous les encouragements de sa femme et des domestiques. Tout près, ses jumeaux de 13 mois s’endorment pendant que ses deux autres filles, de 13 et 11 ans, le taquinent. Une scène de famille entrecoupée de coups de fil où il est question de millions de dollars, de fusions, ou plutôt d’acquisitions, et d’ambitions pour son groupe.
Tony Elumelu parle vite, d’une voix sûre et monocorde. Puis il raccroche, se précipite pour embrasser ses filles qui sortent de l’eau et va retrouver ses collaborateurs, convoqués par e-mail quelques heures plus tôt. « Je m’entoure des meilleurs du Nigeria, glisse le patron en les saluant. Voilà ma dream team ! »
“On doit être capable de générer un quart de la consommation électrique du Nigeria et être un leader énergétique d’ici à deux ans.”
Une dizaine de jeunes gens l’attendent sagement dans la salle à manger. Ils ont des allures de hipsters afro-chic, fusionnant le bon goût occidental et les créations traditionnelles africaines. Tous ont étudié dans les meilleures universités anglo-saxonnes. « Aux Etats-Unis, en Europe, la vie professionnelle semble statique et ennuyeuse comparée à Lagos », affirme Lola Obembe, 30 ans, jeune femme accorte et raffinée, diplômée de l’université de Georgetown, à Washington, et désormais assistante particulière de Tony Elumelu.
« Il y a ici une énergie et un esprit de compétition unique au monde, explique-t-elle. Demain après-midi, nous recevons la secrétaire au commerce, Penny Pritzker, avec une délégation de diplomates et d’hommes d’affaires américains. C’est aussi ça, Lagos… »La réunion se terminera tard dans la soirée, interrompue par les va-et-vient des enfants en quête d’un peu de tendresse. A chacun de ces entractes familiaux, tout le monde applaudit, s’émerveille et prend des photos.
Enfant prodige et fin politique
Cette année, Tony Elumelu veut construire à Lagos un mall médicalisé « façon Dubaï » et s’imposer comme baron de l’énergie dans un pays devenu la première puissance économique d’Afrique, où plus de la moitié de la population n’a pas accès à l’électricité. « On doit être capable de générer un quart de la consommation électrique du Nigeria et être un leader énergétique d’ici à deux ans », tranche-t-il en vantant les capacités de sa centrale électrique au gaz d’Ughelli, la plus grande du pays, acquise en 2013.
Et, lorsqu’on évoque la conjoncture économique fragilisée par la baisse des prix du pétrole et la dépréciation du naira, la monnaie nigériane, il lâche tout de go : « C’est le bon moment pour faire de l’exploration pétrolière, pas pour produire. » Il n’empêche, son compatriote et ami Aliko Dangote, réputé l’homme le plus riche d’Afrique, a vu sa fortune se contracter de 5 milliards dans les classements de Forbes. Tony Elumelu, lui, ne posséderait « qu’un » milliard et reste discret sur le sujet.
Dans les milieux d’affaires, on parle souvent de lui comme du whizkid, l’enfant prodige de la finance qui fut patron de banque à 33 ans. Mais certains le considèrent comme un subsidy billionaire, ces milliardaires nigérians qui se sont enrichis grâce à leur entregent politique. Alors que les affaires politico-financières de corruption et de détournements massifs, souvent réinjectés dans les circuits financiers nigérians, sont légion, son nom n’a jusqu’ici jamais été cité dans le moindre scandale.
Un exploit pour celui qui a démarré son ascension sous la dictature militaire (1993-1998) du kleptocrate Sani Abacha et a entretenu des relations étroites avec les présidents qui ont suivi : Olusegun Obasanjo, Umaru Yar’Adua et Goodluck Jonathan. Tous trois sont aujourd’hui critiqués pour leur gouvernance douteuse et les milliards de dollars prélevés sur le manne pétrolière ou le budget militaire destiné à la lutte contre Boko Haram. « La détermination du président Buhari à lutter contre la corruption va améliorer le climat des affaires », se contente-t-il de relever.
« Dans cet environnement corrompu, les opportunités d’affaires sont illimitées pour ces milliardaires qui ont toujours eu accès au gouvernement et n’ont finalement que peu de mérite, confie un ancien haut fonctionnaire de la Banque centrale. Désormais, ils se sont mués en généreux donateurs pour sauver leur image. »
Une philanthropie calculée
La philanthropie est la dernière tendance à la mode des nantis de Lagos. Et là encore, Tony Elumelu fait tout en grand : 100 millions de dollars sur dix ans pour soutenir 10 000 entrepreneurs sur le continent, avec l’objectif de créer un million d’emplois. Ce programme, qui a démarré en 2015, remporte un vif succès et fait de lui un bienfaiteur salué par les diplomates occidentaux.
Tous ses amis membres du club des milliardaires de Lagos ont d’ailleurs leur fondation. Aliko Dangote vient même de s’afficher avec Bill et Melinda Gates pour combattre ensemble la polio. Il y a aussi le voisin de son manoir, le magnat du pétrole Femi Otedola, qui distribue des bourses aux étudiants de son village.
« Contrairement aux hyperriches d’Afrique du Sud dont l’économie est diversifiée, la plupart des milliardaires nigérians tirent leur fortune du pétrole et incarnent la vieille école, peu innovante et proche des politiques, constate John Ashbourne, analyste au cabinet d’études britannique Capital Economics. La philanthropie est pour eux une manière de se présenter comme le nouveau visage du capitalisme africain. »
Tony Elumelu l’assume sans ambages. « J’investis dans un laboratoire, en quelque sorte, où l’on découvrira de futurs milliardaires des technologies, du divertissement, de la santé et de la mode », explique-t-il sans ciller. Chacune de ses actions est millimétrée. Et pour lui, un don est un investissement. Même sa décontraction est calculée. Il rédige un dernier mail sur son Blackberry, avant de s’envoler pour Washington. La nuit est tombée sur Lagos. A terre, les petites mains de son empire se doivent de lui répondre dans les deux heures qui suivent. Il ne faut surtout pas contrarier l’immense décontraction du patron.
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[Article publié dans “M Le magazine du Monde” samedi 20 février 2016.]
Leonardo DiCaprio est mort. Quand Alejandro Iñárritu a signé l’acte de décès de son comédien sur le plateau de The Revenant (en salles depuis le 24 février), il savait qu’il venait d’accomplir une chose hors du commun. Le masochisme de l’acteur fétiche de Martin Scorsese – celui qui, avec Marlon Brando, aura manifesté la plus forte aptitude, dans l’histoire du cinéma américain, à se faire piétiner, humilier, battre, cracher dessus et défigurer – attirait le réalisateur mexicain.
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Mais il voulait d’un masochisme qui ne soit plus un travers, davantage un trait de personnalité à exploiter. Il fallait donc aller plus loin : tuer DiCaprio et montrer cette mise à mort à l’écran. Lorsque Iñárritu a filmé l’acteur, en gros plan, les cheveux hirsutes, les yeux bleus exorbités, la barbe vérolée par des filaments de glace, les vaisseaux sanguins des joues éclatés par le froid polaire, ni tout à fait mort, déjà plus vivant, « à la fois animal, martyr, saint et esprit », Alejandro Iñárritu savait qu’il était parvenu à fixer un moment à part. Dont se souviendrait peut-être le spectateur. Et qui resterait, à coup sûr, le fait d’armes du cinéaste.
Déjà, dans son deuxième film, 21 grammes (2003), Alejandro Iñárritu s’intéressait à la mort. A cet intervalle. Quand un homme n’est plus tout à fait vivant, pas encore mort, lorsque les 21 grammes, poids supposé de son âme, s’envolent, et que seule demeure cette élévation à filmer. Le réalisateur mexicain pourrait l’attester. Sur ce gros plan, Leonardo DiCaprio pèse seulement 21 grammes. Il a perdu son enveloppe corporelle, s’étiole sous nos yeux, juste avant son dernier souffle. « C’est le moment où mon film peut commencer », ajoute Alejandro Iñárritu.
“Les yeux présagent de tout, c’est une porte d’entrée. Je voyais bien ce que ceux de DiCaprio me promettaient : une totale soumission.”
Ce meurtre répondait à un contrat tacite. « Je lui avais expliqué avant le tournage : “Léo, nous allons tourner au Canada par moins 40 degrés. Tu connais la phrase d’Ernest Shackleton, le pionnier de l’exploration en Antarctique, à son équipe avant sa traversée du Pôle :“A partir d’ici, nous n’allons sans doute plus jamais pouvoir revenir chez nous.” Le froid reste une donnée secondaire, l’affronter n’est pas seulement une question d’équipement, mais un état d’esprit à adopter. Tu l’adoptes ou tu meurs. Et même si tu l’adoptes, tu peux mourir. Si tu viens, il n’y aura plus de retour en arrière possible.” » Il est venu.
Alejandro Iñárritu se souvient des yeux de DiCaprio. Il recrute toujours ses comédiens – Sean Penn dans 21 grammes, Brad Pitt dans Babel (2006), Javier Bardem dans Biutiful (2010), Michael Keaton dansBirdman (2014) – sur la foi de leurs pupilles. Lorsque le fond d’œil décèle un épuisement, une lassitude, l’expression d’une quelconque mélancolie, le réalisateur reconnaît la perle rare. « Les yeux présagent de tout, c’est une porte d’entrée. Je regarde leur forme, leur couleur, le ton du blanc qui entoure l’iris… Le reste m’intéresse moins. Je voyais bien ce que les yeux de DiCaprio me promettaient : une totale soumission. »
La propension du comédien aux expériences limites, son indifférence devant la vie ou devant la mort à partir de l’instant où il a décidé de laisser son destin entre les mains de son metteur en scène, en faisait le candidat idéal pour ce rôle de trappeur, dans le Dakota du Nord, pendant l’hiver 1823, attaqué par un ours, grièvement blessé, abandonné par ses compagnons, témoin de la mort de son fils et lancé à la recherche de ceux qui l’ont enterré vivant.
Alejandro Gonzáles Iñárritu en est resté à un souvenir d’enfance, à la poursuite duquel il se trouve encore. Il fait nuit, le futur réalisateur a les yeux ouverts, allongé sur son lit, en quête d’un sommeil rendu impossible par les ronflements de son père. Pour certains, le sifflement resterait un simple bruit. Pour Iñárritu, c’est différent. Le bruit se métamorphose en crissements. Un râle sourd, ou plutôt un cri sans voix, insupportable à entendre. Alors il se lève. Ouvre la porte de la chambre à coucher parentale. Et s’approche de son père. Soudain, il a peur. Pas parce qu’il a violé l’intimité de ses parents. Mais parce qu’il prend conscience, en regardant son père, que tout peut s’arrêter. Que les individus naissent, vivent et disparaissent. « La mort est devenue intelligible pour la première fois. A partir de ce jour, ou plutôt de cette nuit, elle ne m’a plus lâché. » Cette scène vécue revient parfois. En rêve désormais. Un territoire où le réalisateur se sent plus à l’aise. Il revoit le corps endormi de son père. Ressent toujours cette même frayeur. En parle avec sa fille, qui traverse parfois un rêve comparable. La crainte de l’un nourrit alors celle de l’autre.
“Tout ce qui n’est pas prouvé scientifiquement, tout ce qui relève de la foi devient ésotérique et débile. C’est navrant.”
Sur le terreau de cette peur infantile ont surgi des questions. Il y a d’abord eu les angoisses d’adolescent chez le réalisateur, nourries par les lectures studieuses de Camus et de Sartre. Y a-t-il un grand voile noir une fois les yeux fermés à jamais ? Ou alors une voie à suivre, une lumière à regarder ? L’existentialisme mettait son catholicisme à l’épreuve avec, pour conséquence, un rapport plus distant avec l’Eglise. Depuis, sa foi s’est affirmée, raffermie, tout en s’étant détachée de la religion. Il médite tous les jours. Fâché avec son catholicisme, sans jamais rompre le dialogue avec lui.
Dans The Revenant, le trappeur incarné par DiCaprio pénètre dans une église en ruine, dont les inscriptions et les motifs sont en partie effacés. L’acteur y pose ses doigts, retire la poussière et le gel des peintures pour y trouver les traces d’une croyance qui l’éblouit et le dépasse. Avec ces icônes mises à nu, Iñárritu souligne les travers d’un monde moderne né avec la révolution industrielle et les débuts du capitalisme. « On vous regarde comme un simple d’esprit aujourd’hui quand vous êtes croyant. Le romancier américain David Foster Wallace expliquait que le second degré irrigue les veines de la pop culture. L’ironie détruit notre culture. Tout ce qui n’est pas prouvé scientifiquement, tout ce qui relève de la foi devient ésotérique et débile. C’est navrant. »
Le réalisateur voulait aussi que son personnage, confronté à ces icônes, prenne conscience d’être un tout petit point dans l’éternité. Une vérité élémentaire, souvenir d’une leçon suivie, enfant, par le réalisateur en classe de théologie, où la brièveté d’une vie humaine était mise en perspective avec l’âge de la Terre. Sur le moment, l’écart entre le zéro et l’infini l’a soulagé. C’était l’assurance de mener son existence avec distance. « C’est comme si vous vous trouviez exonéré de toute responsabilité. Penser l’éternité vous permet de relativiser vos complexes, vos obsessions. Vous n’êtes rien, c’est confortable. »
Ce confort n’a pas survécu à l’âge adulte. Les mêmes questions l’ont poursuivi. Avec une intensité autre, pour des résonances plus dramatiques. La mort, autrefois un principe, une peur, un horizon et une abstraction, est devenue une réalité. Quand il a perdu, il y a dix ans, son fils, deux jours après sa naissance, à la suite de complications médicales, Alejandro Iñárritu a cherché à comprendre. Il voulait parler aux docteurs. Puis, une fois la discussion close, les tuer.
« J’avais le sentiment qu’on m’avait caché des choses, il aurait été possible de m’avertir, de me tenir au courant. Tout n’avait pas été mis en œuvre pour prévenir cette tragédie. » Il a voulu se venger, échafaudé des plans, pour mettre en accord ses actes avec cette pulsion. « C’était dur », explique-t-il. Le réalisateur répète l’adjectif à l’infini, comme si un seul mot suffisait à définir ce drame. « J’ai fini par comprendre que rien ne ramènerait cet enfant à la vie. Cela a été un processus long et difficile. Je devais apprendre à mettre cela derrière moi, à aller de l’avant, sinon j’allais devenir dingue. »
Le réalisateur a dédié 21 grammes à son épouse, Maria Eladia, par une phrase figurant au générique du film en espagnol et qui fait allusion à l’enfant : « Pues cuando ardio la perdida, reverdecieron sus maizales », [littéralement : « Puis, lorsque la perte fut consumée, le champ de maïs a reverdi »]. Le couple incarné par Brad Pitt et Cate Blanchett dans Babel est, entre autres choses, lié par la mort d’un enfant peu après la naissance. « J’avais, avant cette tragédie, un point de vue assez précis sur la vie. Elle ressemblait à un long plan de Steadicam, avec la fluidité de cette caméra que l’on déplace si facilement. Dès que nous ouvrons les yeux le matin jusqu’au soir, nous traversons notre quotidien dans une totale continuité. Mais quand vous les fermez, même très brièvement, vous entrez dans une autre dimension qui est celle de la mémoire, justement pour compenser cette information que vous ne vous êtes pas procurée. Après ce drame, et à partir de 21 grammes, mon cinéma s’est installé dans cette dimension du souvenir. Je répète souvent que la mémoire ne consiste pas seulement à reconstituer les choses, elle vous permet de combler ce qui a échappé à votre regard. »
“Je suis un DJ raté qui s’est reconverti dans le cinéma.”
Depuis la mort de son fils, une même image revient dans le cinéma d’Iñárritu. Celle d’une forêt aux arbres gigantesques, toujours filmée en contre-plongée. Dans 21 grammes, le professeur de mathématiques incarné par Sean Penn, qui doit la vie à une transplantation cardiaque, est régulièrement traversé par cette image. Cette même forêt obsède Javier Bardem, le père de famille vivant de trafics illégaux dans Biutiful, doué aussi d’un talent de médium, capable de communiquer avec les personnes qui viennent de mourir. Leonardo DiCaprio traverse encore cette même forêt dans The Revenant. Au fur et à mesure que la mémoire de son enfant mort se précise, les arbres de cette forêt se multiplient. « Cette image m’obsède. Elle est celle d’un sanctuaire, où j’ai décidé à un moment de ma vie de m’installer. »
Le réalisateur mexicain serait bien en peine d’expliquer sa signification. Mais il continue de la filmer pour y retourner. C’est un lieu investi et revisité, le territoire improbable, inconnu des cartes, sur lequel il s’épanouit. L’idée qu’il pourrait ne plus jamais se sentir chez lui, que ce soit dans son pays natal, le Mexique, ou dans son pays d’adoption, les Etats-Unis, n’y est sans doute pas étrangère. Elle l’a frappé dès le tournage d’Amours chiennes, qui reste, avec Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, le premier film le plus impressionnant des années 1990-2000. Ce film, Iñárritu n’avait pas d’autre choix que de le réussir. La pression imposée tenait à sa vocation tardive dans le cinéma : « Je répète souvent que je suis un DJ raté qui s’est reconverti dans le cinéma. J’ai merdé dans ma vie. J’ai traîné, j’ai perdu du temps. »
Il a voyagé plus d’un an sur un bateau, à la fin de l’adolescence, avec les 1 000 dollars donnés par son père. Rarement 1 000 dollars furent mieux investis. Il est apparu très tardivement que les lieux où se déroulaient 21 grammes, Babel et Biutiful – Memphis dans le Tennessee, le désert marocain et Barcelone – correspondaient à ceux visités lors de ce voyage initiatique.
Il a donc pris son temps sur Amours chiennes, travaillé sur plus d’une trentaine de versions de scénarios du film pour mettre au point sa géométrie particulière – trois histoires d’amour entre un homme ou une femme et un chien, dont le point d’intersection se trouve être un accident de voiture. Et trois ans d’écriture avec le romancier Guillermo Arriaga, qui signera ensuite les scénarios de 21 grammes et Babel.
« Amours chiennes, ce sont trois histoires mises en scène dans le contexte d’une guerre civile que traverse Mexico. Il y a une beauté intime et cachée dans cette ville, mais elle reste un champ de bataille. » Une ville où, selon lui, s’affrontent le Bien et le Mal, pour assister au triomphe du premier. « Je suis catholique, ne l’oubliez jamais. Chaque plan dans ce film correspond à un choix moral tant Mexico vous confronte, dans le même souffle, au Bien et au Mal. J’en avais assez de voir les Américains regarder le Mexique comme un fast-food. Ils ne comprennent rien à l’Amérique latine. Je voulais qu’ils voient ma ville autrement. Je viens d’une tradition proche des peintres muralistes José Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros, dont les fresques mettent en scène le Jugement dernier ou la révolution mexicaine. Notre culture mélange des thèmes cosmiques, politiques, sociaux et religieux exposés sur des murs, devenus une gigantesque toile aux couleurs vives. Amours chiennes était conçu ainsi, à la manière d’un triptyque mural. »
“Un Mexicain n’a aucun besoin d’aller à Hollywood vendre son âme au diable, il a largement de quoi la perdre chez lui.”
Quand il a effectué les repérages pour les combats de chiens qui resteront une des signatures du film, Iñárritu et son équipe ont été victimes d’un gang, un pistolet sur la tempe. Les bureaux de la production du film étaient sous surveillance policière jour et nuit et il fallait au réalisateur un chauffeur garde du corps pour se déplacer. Monter dans un taxi était impossible. « Il ne faut jamais prendre un véhicule à l’improviste à Mexico. Il est hors de question de faire confiance à un chauffeur de taxi. Il y a toutes les chances qu’il vous tue. »
Peu après la sortie d’Amours chiennes, les parents d’Alejandro Iñárritu furent, à quelques jours d’intervalle, violemment agressés. Sa mère est battue à mort, la mâchoire fracassée. Son père est kidnappé une journée, passant six heures dans le coffre d’une voiture. « Tout cela pour lui faucher 5 000 pesos, soupire Iñárritu, l’équivalent de 50 dollars. C’est le prix d’une vie chez moi. » L’exil, qui était auparavant une option, devient alors une nécessité. Il quitte donc Mexico en 2001 et doit répondre à cette question : va-t-il vendre son âme chez le voisin américain pour connaître le sort dévolu aux cinéastes expatriés à Hollywood depuis les années 1990, devenus de simples employés, et plus jamais des artistes ? « Il m’est apparu qu’un Mexicain n’avait aucun besoin d’aller à Hollywood vendre son âme au diable, il a largement de quoi la perdre chez lui. Je pense même l’inverse. Sergueï Eisenstein s’est perdu chez nous avec Que Viva Mexico ! Le Mexique n’est pas pour tout le monde. Quand vous avez survécu à ce pays, vous pouvez survivre à tout. »
Aujourd’hui Alejandro Iñárritu est le plus illustre représentant d’une colonie mexicaine installée depuis les années 2000 à Hollywood. C’est désormais là-bas la seule minorité étrangère organisée, vraiment solidaire, qui possède une réelle force d’influence. « Ce qui nous distingue, revendique Iñárritu, est notre peau mate. Nous disposons d’une liberté artistique acquise avec les dents dans un pays où nos compatriotes ne sont pas les bienvenus. »
Avec le réalisateur de The Revenant, on compte Alfonso Cuarón, le metteur en scène de Children of Men et de Gravity, Guillermo del Toro, celui du Labyrinthe de Pan et de Pacific Rim, ainsi qu’Emmanuel Lubezki, le directeur de la photo attitré d’Iñárritu, de Terrence Malick, d’Alfonso Cuarón et de Michael Mann. « J’ai rencontré Iñárritu à l’époque d’Amours chiennes, se souvient Guillermo del Toro. J’avais reçu une cassette du film. Je suis tombé amoureux du film, même si c’était trop long. Il fallait faire quelque chose. Je lui ai proposé de venir à Mexico sur le champ, même si cela signifiait dormir sur son canapé, je voyais tellement comment il serait possible d’améliorer le film en quelques jours ! »
“La sobremesa, ce moment où l’on prend son café dans la joie et la bonne humeur, me manque tant. A la fin de votre repas, vous prenez au moins autant de temps pour le déguster. C’est un moment si agréable. Et civilisé…”
Depuis, les deux cinéastes regardent toujours le premier bout à bout des rushes de leurs films respectifs. L’exil imposé, en raison de la violence au Mexique, a aussi cimenté leurs relations. Le père de Guillermo del Toro, cadre dans l’industrieautomobile, avait été kidnappé pendant plus de deux mois. La police mexicaine lui avait proposé, contre 5 000 dollars, de leur livrer les ravisseurs attachés à une chaîne avec la possibilité de rester seul avec eux et une batte de base-ball. Pour le double de cette somme, la police garantissait l’élimination des kidnappeurs, des Polaroid des cadavres faisant foi.
Alejandro Iñárritu a essayé, sans succès, depuis son arrivée aux Etats-Unis, de composer avec la culture américaine. Et notamment la culture du plastique. Le principe des assiettes et des couverts jetables que ses collègues de travail mettaient à la poubelle après un déjeuner pris chacun dans son coin lui apparaissait d’une sauvagerie ultime. Un manque de goût, et la marque d’un désintérêt pour l’humain. Déjeuner signifie, aux yeux du réalisateur, sortir ses couverts en argent, prendre son temps, discuter, échanger. « La sobremesa, ce moment où l’on prend son café dans la joie et la bonne humeur, me manque tant. A la fin de votre repas, vous prenez au moins autant de temps pour le déguster – ça ou un digestif. On peut sortir aussi une cigarette ou un cigare, la parole se libère. C’est un moment si agréable. Et civilisé… » Ce temps perdu lui manque. Ces moments justement où l’on raconte sa vie à des inconnus, entretenant une proximité qui pourrait un jour devenir intimité.
Il a aussi appris à regarder avec circonspection la culture de la réussite, emblématique de son nouveau pays. Réussir reste, encore aujourd’hui, même après l’Oscar du meilleur film reçu pour Birdman et les récompenses (Golde Globe et prix du meilleur film par la Director’s Guild Association) pour The Revenant, une perspective problématique. Il a vu son père banquier devenir riche et tout perdre quelques mois plus tard à la suite d’investissements hasardeux. Le réalisateur mexicain n’arrive pas à se souvenir de l’avoir entendu pleurer, se plaindre ou maudire le destin. De l’échec, il a retenu une leçon : le succès est un fruit pourri, rarement la recette du bonheur. « Mon père me répétait sans cesse : “Si tu rencontres le succès, goûte-le et recrache-le tout de suite après. C’est du poison.” »
“Lorsque deux individus échangent un mot, puis deux, tout devient possible.”
S’est donc toujours posée la question de ce qu’il possédait pour de bon, pas de l’argent ou de la reconnaissance, mais un bien exclusif dont personne ne pourrait le spolier. Le milliardaire Donald Trump, l’un des candidats républicains à la Maison Blanche, lui apparaît par exemple comme un individu démuni, puisqu’il ne possède que de l’argent. Pour le réalisateur, c’est différent. Il possède ses couverts en argent et sait engager une conversation : « Lorsque deux individus échangent un mot, puis deux, tout devient possible. »
Il est heureux d’être parvenu à persuader Leonardo DiCaprio de renoncer à tout confort. The Revenant n’est pas seulement une aventure menée à bien, dans des conditions extrêmes, où l’acteur se fait déchiqueter par un grizzli, mange un poisson vivant et le foie d’un bison, ouvre les entrailles d’un cheval, le vide de ses organes pour se lover à l’intérieur à la recherche d’une chaleur introuvable ailleurs. C’était une intimité partagée entre deux individus, lui et son comédien. Une expérience partagée, dans des assiettes en plastique, une fois n’est pas coutume. « Je n’arrêtais pas de répéter à Leonardo : “Regarde cet alignement d’arbres dans la forêt, nous avons tellement perdu l’habitude de les observer qu’il pourrait presque s’agir d’un paysage de science-fiction.” Je l’ai vu ramper, défaillir, s’éteindre sous mes yeux, mais je lui ai toujours répété la même chose : “Toi au moins, tu es vivant.” »
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Avocat de la Ligue des droits de l’homme, il s’est lancé dans un combat sans relâche contre les excès de l’état d’urgence, sur lequel le Conseil constitutionnel s’est prononcé vendredi 19 février.
La porte de son bureau est gardée par une magnifique gazelle, prête à bondir.Le trophée de chasse d’un autre. Les siens, Patrice Spinosi ne les affiche pas.Pourtant, il aurait de quoi en étaler : il a fait condamner la France par la Cour européenne des droits de l’homme une quinzaine de fois ; il a fait aboutir devant le Conseil constitutionnel quelque trente-cinq questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) en seulement cinq ans d’existence de cette procédure ; il est à l’origine de plusieurs dizaines d’arrêts célèbres du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation…
Comme perdu au fond d’un immense canapé en cuir noir dominé par une peinture contemporaine grand format de tête de mort, « pour mieux accepter les échecs, car elle nous rappelle que nous finirons tous comme ça », cet avocat se défend de tout triomphalisme. Aussi à l’aise devant les micros de BFMTV que dans l’exégèse des jurisprudences les plus absconses, il semble s’être lancé dans un combat perdu d’avance contre les excès de l’état d’urgence décrété en France au lendemain des attentats du 13 novembre.
Faire avancer les lois
Les coups de boutoir qu’il a portés dans les prétoires au nom de la Ligue des droits de l’homme (LDH) pour dénoncer les risques que cette législation d’exception ferait peser sur notre démocratie ont été, jusqu’ici, vains. Sur le papier en tout cas. Une première QPC sur les assignations à résidence a été rejetée le 22 décembre par les gardiens de la Constitution. L’action devant le Conseil d’Etat pour enjoindre le chef de l’Etat à suspendre tout ou partie de l’état d’urgence s’est soldée, le 27 janvier, par un arrêt justifiant au contraire la position du gouvernement au nom de la « persistance d’une menace imminente ». Le Conseil constitutionnel a rendu vendredi 19 février sa décision sur les deux dernières QPC que cet « avocat militant » – il assume – a plaidées. Selon lui, le flou des articles de loi autorisant les perquisitions extrajudiciaires et les interdictions de manifester est une menace pour les libertés fondamentales.
« Attaquer en justice une décision de l’administration permet aujourd’hui de faire avancer la loi de façon beaucoup plus radicale et efficace que le lobbying auprès des parlementaires ou de l’exécutif », affirme-t-il. La flamme du combattant ne cesse de briller dans les yeux bleu intense qui rehaussent une taille modeste. Mais question taille, le « fils de » n’a plus rien à prouver.
A 27 ans, il a hérité du cabinet de son père décédé. Or celui-ci faisait partie des rares avocats ayant le privilège de plaider devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Patrice Spinosi avait alors décroché le titre aussi flatteur qu’encombrant de plus jeune avocat de ces juridictions prestigieuses. Ces instances sont les seules habilitées à faire évoluer l’interprétation des lois. C’est ce qui l’excite, « apporter des solutions nouvelles avec le droit ».
Se battre contre les institutions, non pour les détruire, mais pour en améliorer le fonctionnement. Il arrache parfois des décisions historiques, comme celle sur la « jungle » de Calais, pour le compte du Secours catholique et de Médecins du monde. Le 23 novembre, l’Etat a été condamné à rendre plus dignes les conditions de vie des migrants. Un précédent qui pourra être invoqué pour d’autres camps, même illégaux.
Défenseur des faibles, d’Apple et de Nicolas Sarkozy
Il s’est fait un nom en défendant gratuitement pour l’Observatoire international des prisons (OIP), la Cimade, la Quadrature du Net ou encore la Ligue des droits de l’homme, des causes « nobles » comme les libertés publiques, les droits des faibles, des sans-papiers ou des détenus. Des générations d’étudiants en rêvent, avant – nécessité fait loi – de se spécialiser dans le droit fiscal ou du divorce. Lui se paie le luxe d’y consacrer une partie non négligeable de sa force de travail. « Même dans les affaires gagnées où l’Etat est condamné en plus à payer les frais d’avocats, Patrice les reverse à l’association », remarque Nicolas Ferran, chargé du contentieux à l’OIP.
A 43 ans, il peut se le permettre parce que son affaire est prospère. Le cabinet Spinosi-Sureau – il s’est associé depuis deux ans à François Sureau, un autre « bourgeois humaniste » – compte une trentaine de personnes dont vingt avocats. Quand il a repris le cabinet paternel, un seul collaborateur et une secrétaire étaient dans l’escarcelle. La défense des Google, Apple et autres géants de l’automobile fait aujourd’hui bouillir la marmite. Ou même celle, « tout aussi noble », d’un Nicolas Sarkozy dans l’affaire des écoutes de ses conversations avec son avocat. « Le combat du droit n’est ni de droite ni de gauche. »
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