La chambre d’agriculture à la peine face au malaise agricole
Pour tenter de soulager la détresse morale et financière d’un nombre croissant d’exploitants, des cellules de crise proposent soutien et conseils. Tant bien que mal. Exemple en Haute-Garonne.
Au bout d’un chemin boueux, des engins déglingués jonchent le sol humide. Même les bottes de foin s’affaissent sous le hangar. Paysage chaotique, douloureux, reflet du quotidien des Melou, une famille d’agriculteurs qui n’a plus la force de mettre de l’ordre dans sa vie. Loin de l’effervescence du Salon de l’agriculture, qui ouvre ses portes ce 27 février. A la tête de la ferme située à Verfeil, à 30 km de Toulouse, Didier, 30 ans, solide gaillard au visage poupin, reçoit ce matin les représentantes de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne. Elles sont là pour tenter de sauver l’entreprise familiale : 80 hectares de céréales, de prairie et 56 vaches laitières.
Quand Didier a repris, il y a neuf ans, l’exploitation endettée de ses parents, il était loin d’imaginer la série noire qui allait le mettre à terre. Permis de modernisation du bâtiment d’élevage bloqué pendant quatre ans par une voisine procédurière. Nouvelle machine de traite payée, mais jamais livrée. Douze jours de suspension de production dus à une erreur de la coopérative laitière. « Je n’ai plus de solutions », confie Didier, en avril, à sa conseillère agricole. Elle le convainc d’intégrer la cellule de crise de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne.
“Certains agriculteurs n’osent pas nous contacter”
Créée en 2012 pour venir en aide aux exploitants en détresse toujours plus nombreux, cette structure réunit tous les acteurs de la filière – banques, réseaux de conseils et d’experts-comptables, assurances, mutualité sociale agricole (MSA), coopératives – organisés en comité chargé de trouver des solutions avant la faillite. Plusieurs fois par mois, à Toulouse, les partenaires échangent. Si le rendement de l’exploitation est inférieur à la moyenne, ils proposent au paysan en difficulté un suivi avec des conseils de gestion. Parfois les banques acceptent de suspendre les intérêts des emprunts, d’échelonner les impayés. La MSA de reporter les cotisations sociales.
Mais ces faveurs restent difficiles à obtenir. Après quelques mois, la situation de Didier vient d’être réexaminée. Dans son salon, l’heure est au compte rendu. « Il faut que tu gardes ton troupeau et que tu transformes tes vaches à lait en vaches à viande », relayent Laure Serres, coordinatrice de la cellule, et Brigitte Campos, en charge des conseillers agricoles. « Mais oui ! Ça ne vaut plus rien », lâche son père, Robert, 64 ans, silhouette usée, jusqu’alors mutique dans le canapé. Le front suant, Didier acquiesce, soulagé. Il savait qu’il fallait abandonner le lait. Les deux représentantes sont là pour le guider. Surtout ne pas le lâcher, lui rendre visite.
Certains, comme Didier, confient leur détresse à des conseillers agricoles qui font le tour des fermes plusieurs fois par an. D’autres appellent le numéro mis en place par la chambre d’agriculture. Les banques, la mutualité sociale agricole et les coopératives sont en alerte. Elles signalent les surendettements à la cellule de crise qui contacte l’agriculteur. S’il est d’accord, il reçoit l’aide de la chambre. Difficile néanmoins de repérer les exploitants en difficulté. « On travaille main dans la main avec les partenaires. Mais certains agriculteurs n’osent pas nous contacter par pudeur et honte », admet Brigitte Campos.
Didier, lui, n’abandonnera jamais. Il espère même se verser un salaire un jour. « J’ai intégré la cellule, car je me disais : “Si tu continues comme ça, dans un an, c’est fini.” Et ça, je ne peux pas l’envisager, je suis un battant ! » Tous n’ont pas cette force. « Beaucoup ferment les volets en apercevant le facteur. Ils ont une peur terrible des factures qu’ils ne peuvent plus payer. Ils deviennent agressifs et, le risque, c’est que cette colère se retourne contre eux », déplore Laure Serres.
Face à l’ampleur du malaise agricole, l’action de la cellule de crise semble dérisoire. Depuis 2012, seuls 29 agriculteurs sont suivis dans le département. Ils sont pourtant des centaines au bord du précipice. « Honnêtement, ça ne me sert pas à grand-chose. Quelques conseils… Et une lettre au fournisseur qui ne m’a pas livré ma machine à traire. Ce n’est pas ça qui va me sortir du pétrin », tranche Didier devant les représentantes médusées.
Une fois à l’écart, les deux femmes relativisent. « Il ne l’a pas réalisé, mais il a beaucoup avancé », chuchote Brigitte. « On fait ce qu’on peut », reprend Laure. Pas suffisant pour stopper l’hémorragie. En 2016, la Haute-Garonne compte 5 880 agriculteurs, contre 6 400 en 2010. La moitié des exploitations bovins-lait a disparu depuis 2000, elles ne sont plus que 180 dans le département.
Pour l’agriculteur, la situation paraît sans issue. « L’idée du suicide m’a chatouillé », murmure Didier, le regard vide. Souffrant d’une maladie orpheline depuis son enfance, l’exploitant s’est ressaisi : « J’ai frôlé la mort donc, pour moi, la vie est sacrée. Même si on doit se retrouver sous les ponts, je me dis qu’il y aura toujours une petite étoile. » Beaucoup ne se sont pas raccrochés à cette lueur d’espoir. Selon les derniers chiffres de 2013, tous les deux jours en France, un agriculteur met fin à ses jours.
Par Elsa Mari
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