Choc capillaire au Parlement espagnol
Lors de la première session parlementaire, à Madrid, les nouveaux élus de Podemos se sont fait remarquer par leur look. Coiffures inhabituelles et tee-shirts aux slogans altermondialistes ont remplacé les traditionnels costumes-cravates.
De longues dreadlocks, un pull à fines rayures dont dépasse du col un tee-shirt noir, une allure nonchalante. Sous le regard médusé du chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, le député Alberto Rodriguez traverse le Parlement. Elu du jeune parti de la gauche anti-austérité Podemos pour Santa Cruz de Tenerife (Canaries), ce technicien en chimie de 33 ans, employé dans une raffinerie de pétrole, vient de faireentrer pour la première fois au Congrès des députés, la coupe de cheveux traditionnelle des rastafaris jamaïquains.
Nous sommes mi-janvier et les nouveaux députés issus des élections du 20 décembre 2015 prennent leurs fonctions. Le contraste entre les anciens et les nouveaux est saisissant. Le choc esthétique flagrant. « Moi, tant qu’il ne me refile pas des poux, je n’ai aucun problème… », a commenté, le lendemain, ironique, Celia Villalobos, vice-présidente du bureau du Parlement espagnol pour le Parti populaire (PP, droite).
La polémique est lancée. « Si seulement son parti pouvait être juste à moitié aussi propre que mes dreads… », a répliqué un autre député de Podemos portant des tresses rastas, Miguel Ardanuy, en référence aux cas de corruption qui touchent le PP. Alberto Rodriguez, préfère, lui, couper court au débat. « Nous avons été le centre d’attention parce que nous sommes divers et pluriels, tout comme la société que nous représentons. »
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Que les commentaires sur la première session parlementaire aient largement porté sur l’analyse capillaire des nouveaux élus de Podemos n’a rien d’étonnant, si l’on se souvient que le chef de file du parti, Pablo Iglesias, a longtemps été surnommé « la queue-de-cheval » (« el coleta »). Aujourd’hui, il n’est donc plus le seul élu de Podemos à porter les cheveux longs.
Miguel Vila, ex-cameraman de la télévision publique TVE, les laisse tomber sur ses épaules. Les yeux du jeune professeur de philosophie Eduardo Maura sont dissimulés derrière la grande mèche qui lui balaie le front. Quant aux tresses africaines de la militante Rita Bosaho, elles ne sont pas un détail. Née en Guinée-Equatoriale en 1965, trois ans avant l’indépendance de cette ex-colonie espagnole, cette féministe membre de plusieurs organisations sociales est la première députée noire.
L’irruption de “gens normaux”
Il n’y a pas que les coupes de cheveux qui ont changé le visage du nouveau Parlement. Tee-shirts barrés de slogans altermondialistes ou chemises au col ouvert ont remplacé les costumes-cravates d’usage. Ce changement de look correspond à l’irruption de « gens normaux » au Parlement, justifie Podemos, dont la numéro trois, Carolina Bescansa, mère célibataire, est même venue avec son bébé de cinq mois sur les genoux pendant toute la session, qui a duré cinq heures, arguant qu’elle donne encore le sein.
Sur les 350 députés espagnols, 218 le sont pour la première fois et 40 % sont des femmes : un record. Deux députées, l’une socialiste, l’autre Podemos, ont à peine 25 ans. Une grande partie des élus de Podemos sont des militants provenant de mouvements sociaux — l’un d’eux attend même son procès pour résistance à l’autorité après avoir manifesté contre l’agrandissement d’un barrage dans le nord de l’Espagne. Mais on y trouve aussi une actrice, deux juges anticorruption, un garde civil, un prestigieux scientifique, un chômeur…
Pour ne pas avoir l’air trop vieillots, les deux grands partis, PP et PSOE (socialistes) ont eux aussi rénové leurs rangs : un tiers des députés du PP et la moitié de ceux du PSOE sont de nouvelles têtes. Et ce n’est pas la seule concession qu’ils ont déjà dû faire pour rester « dans le coup ». Après l’annonce de Podemos selon laquelle ses deux membres du bureau du Parlement renonçaient à leur voiture de fonction, les élus du jeune parti centriste Ciudadanos et du PSOE ont fait de même.
Quant au protocole, plutôt que prêter serment sobrement, les élus de Podemos ont répété le même texte : « Je promets de respecter la Constitution et de travailler pour
la changer. Plus jamais un pays sans les siens, plus jamais un pays sans ses peuples. » Pablo Iglesias a même traduit cette déclaration en langue des signes.
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