La photo crée l’illusion à Hyères

Chaque année, le Festival international de mode et de photographie à Hyères met en lumière une dizaine de jeunes photographes. Les artistes sélectionnés pour cette 31e édition interrogent notamment le pouvoir de l’apparence.

Rien de tel que le festival d’Hyères pour se faire un nom dans la photographie de mode (et la photographie tout court…). Camille Vivier, ­Olivier Amsellem, SØlve SundsbØ, Charles Fréger, Thomas Mailaender…, tous sont ­passés par là au début de leur carrière.

Jason Larkin, « 30 minutes », « Waiting », 2013.

Quid du cru 2016 ? Comme à chaque printemps, le festival, qui se termine le 25 avril, a ­sélectionné une dizaine de jeunes pousses. Français, tchèque ou ukrainien, ces artistes en devenir sont invités à dévoiler leur talent dans les méandres modernistes de la Villa Noailles, au fil d’une exposition collective.

Des parcours variés, un horizon grand ouvert

Pour cette 31e édition, dont M Le magazine du Monde est partenaire, le jury du concoursphoto, sous la houlette du « dieu » William Klein, est constitué de directeurs artistiques, éditeurs et photogra­phes venus du monde entier, dont Jean-Paul Goude. A charge pour ce collège de retenir deux noms qui, l’an prochain, se verront passer commande pour le festival : l’un pour le Grand Prix, doté pour la première fois de 15 000 euros par Chanel ; l’autre pour le Prix spécial, comme celui décerné l’an passé à Evangelia Kranioti.

En images : les œuvres des finalistes du Prix photo

Emilie Regnier, «Abidjan, Ivory Coast, Portrait of Abiba Yalupé », « Hair », 2014.Les photographies de coiffes réalisées dans les années 1970 par le Nigérian J.D. 'Okhai Ojeikere ont ­inspiré cette artiste d’­origine canadienne et haïtienne. Elle livre des portraits de coquettes ­rencontrées dans les salons de beauté de Bamako ou d’­Abidjan, influencées par les stars de la pop américaine.
Jojakim Cortis et Adrian Sonderegger, « Making of “La cour du domaine du Gras” » (by Joseph Nicéphore Niépce, 1826), « Ikonen », 2012. Le malicieux duo suisse met en scène de grands événements ­historiques tout en dévoilant les coulisses de leur manipulation. Ici, la toute première photographie, prise en 1826 par Nicéphore Niépce dans la cour d’une ferme.
Maja Daniels, « Local Santas », « River Valley Vernacular », 2013. Dans la vallée d’Älvdalen se parle une langue ancienne, proche de celle des Vikings : l’elfdalian. La photographe ­suédoise est partie traquer les descendants ­lointains de ces fiers guerriers.
Jason Larkin, « 30 minutes », « Waiting », 2013. Ce photographe britannique a passé deux ans à Johannesburg, en Afrique du Sud, où il a saisi dans les rues des badauds figés dans une longue attente.
Ilona Szwarc, « Untitled #17 », « I am a woman and I cast no shadow », 2015.Le maquillage est un masque derrière lequel on se cache, bien plus qu’une simple mise en beauté. L’artiste d’origine polonaise explore cette idée, à travers des portraits s’inspirant de tutoriels de maquillage.
Sasha Kurmaz, «Untitled », « Banner Book », Kiev, 2015. Tendues, caressantes, en prière ou combattantes, les mains telles qu’elle les a découvertes dans les affiches publicitaires jalonnant les rues de Kiev constituent le motif auquel s’est attachée cette plasticienne ­ukrainienne.
Anaïs Boileau, « Calpe détail », « Plein Soleil », 2014. La photographe française a réalisé une série autour des femmes obsédées par leur teint hâlé. Elle s’est aussi arrêtée sur l’architecture des cités balnéaires qui les accueillent et sur leurs lignes froides soumises aux rayons.
Louise Desnos, « Acedia #6 », « Acedia », 2015. Dans la série « Acedia », la photographe française s’est inspirée de cet état d’affliction et de désenchantement appelé l’acédie. Plus qu’un ­sentiment de désolation, elle le considère comme une tentative de résister au monde contemporain.
Fleur van Dodewaard, « #05 », « Biscuits », 2015. Cette Néerlandaise a collaboré avec des virtuoses de la porcelaine dans le sud du Japon afin de créer d’étranges vases en biscuit traditionnel que vient perturber l’­irruption d’objets contemporains. Ici, alliant le kaolin, le plus noble, au plastique le plus commun.
Vendula Knopova, « Untitled », « Tutorial », 2015. Humour pop et trivialité de bon aloi marquent l’univers ­complètement décalé de cette artiste pragoise.
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Emilie Regnier, «Abidjan, Ivory Coast, Portrait of Abiba Yalupé », « Hair », 2014.Les photographies de coiffes réalisées dans les années 1970 par le Nigérian J.D. ‘Okhai Ojeikere ont ­inspiré cette artiste d’­origine canadienne et haïtienne. Elle livre des portraits de coquettes ­rencontrées dans les salons de beauté de Bamako ou d’­Abidjan, influencées par les stars de la pop américaine.

Emilie Regnier

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La plupart des nominés de ce printemps ont 30 ans à peine et sont souvent issus de formations prestigieuses comme les Arts déco à Paris ou la Royal Academy of Arts à Londres. Ils évoluent dans la presse aussi bien que dans l’humanitaire ; leurs parcours, des plus variés, oscil­lent entre les studios de publicité, la photographie documentaire et le monde des galeries.

Jojakim Cortis et Andrian Sonderegger, "Making of "La cour du domaine du Gras" (by Joseph Nicéphore Niépce, 1826), "Ikonen", 2012.

 Bref, la photo de mode est loin, très loin d’être leur unique horizon. C’est toute la qualité d’un tel festival que d’ouvrir grand les yeux. Ici, le premier degré n’a pas bonne presse : pour preuve, la façon qu’ont ces jeunes gens de se jouer avec brio du motif de l’apparence, et de ses pièges. Apparence ­dictatoriale sous l’œil caustique d’Anaïs ­Boileau, qui, à la façon d’un Martin Parr, ­s’arrête sur ces femmes obsédées par leur bronzage ; mais aussi chez Emilie Regnier, qui a rencontré au gré des salons de coiffure africains de plantureuses fausses blondes, déchirées entre leur désir de se métamorphoser en Beyoncé et celui de rivaliser de crinière avec Rihanna. Même trouble de l’identité mis en scène par Ilona Szwarc à travers des séquences de maquillage faisant tomber le masque.

Ilona Szwarc, "Untitled #17", "I am a woman and I cast no shadow", 2015.


C’est l’illusion, également, que ­travaillent au corps Jojakim Cortis et Adrian Sonderegger : le duo suisse reconstitue en studio quelques événements historiques, de la bombe d’Hiroshima à l’­accident du Concorde, tout en laissant place, dans leurs images, à mille indices qui en dénoncent la falsification.

Quant à Louise Desnos, ses ­précieux clichés noir et blanc évoquent des paysages et des êtres paraissant si lointains qu’ils en semblent étrangers à eux-mêmes. A l’instar de ces silhouettes, surprises par le Britannique Jason Larkin au fil des rues de Johannesburg, qui suggèrent une attente dont on ne connaît pas l’objet. Sans visage, réduits à leur ombre, ces badauds sont à l’image de la société qui les a vus naître : projetés vers un avenir incertain.

Festival international de mode et de photographie, Villa Noailles, montée de Noailles, 83400 Hyères. Jusqu’au 25 avril. http://www.villanoailles-hyeres.com

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