Pas de Palio cadeau pour les 90 ans d’Elizabeth II
Il était question que les organisateurs de la célèbre course de chevaux de Sienne envoient une délégation en Angleterre pour l’anniversaire de la reine. Ce ne sera finalement pas le cas. Une décision prise au terme de débats passionnés en Italie.
L’invitation était on ne peut plus officielle et l’occasion, historique. En novembre 2015, la société britannique d’organisation d’événements H Power Group a contacté Bruno Valentini, le maire de Sienne (Toscane), afin qu’il envoie une représentation du célèbre Palio défiler à Windsor le 15 mai à l’occasion des festivités prévues pour le 90e anniversaire d’Elizabeth II. La passion de la reine d’Angleterre pour les équidés n’a en effet d’égal que celles pour les chiens et les chapeaux de couleur. Le choc de traditions entre une course de chevaux remontant au Moyen Age et une monarchie tout aussi séculaire promettait d’être le clou de ces cérémonies. Bruno Valentini s’est donc ouvert de la proposition royale au magistrat des contrade (quartiers), sorte d’arbitre des règles du Palio, qui a lieu chaque année le 2 juillet et le 16 août sur la piazza del Campo, au cœur de Sienne.
Que faire ? Qui choisir ? Quels chevaux, quels fantini (cavaliers), quels alfieri (porte-drapeaux) devront faire le voyage à Windsor ? Et pour y faire quoi ? Le débat a enflammé les Siennois au point de leur faire oublier les difficultés de l’autre pilier de l’identité locale, la banque Monte dei Paschi di Sienna, dont la capitalisation s’est effondrée en Bourse. Dans le quartier de la Girafe, de la Tour, de l’Aigle ou de la Panthère, chacun a donné son avis. Le verdict est tombé le 20 janvier : pas de Palio pour « Queen Elizabeth II ».
Conscients de l’honneur qui leur était fait, les Siennois ont préféré y renoncer plutôt que voirdénaturer leur tradition : « On ne nous proposait que 90 secondes de spectacle et la possibilité de ne faire défiler que deux chevaux, trois jockeys et cinq alfieri, comme si on voulait faire entrer notre tradition dans une bouteille », se lamente un des organisateurs. « Le Palio n’est pas un cirque ambulant, a expliqué le maire. Si on veut le vivre dans toute sa fièvre, il faut venir à Sienne. »
Même si chaque course ne dure que le temps d’un tour de piste sur les coups de 19 heures, le rituel du Palio vaut d’être vécu dans toute sa durée et son intensité. Le choix des chevaux, quelques jours avant la course ; leur bénédiction dans la chapelle ou l’église d’une des contrade ; la longue attente qui précède l’épreuve alors que la piazza del Campo se remplit de monde ; le défilé des tambours et des porte-drapeaux en costume traditionnel… Chaque minute du cérémonial traduit l’attente fébrile d’une compétition à l’issue de laquelle un seul des quartiers de la ville festoiera, tandis que tous les autres pleureront. Comment transposer une telle intensité à Windsor ?
Souffrance et jouissance
Chanteuse populaire à la voix rauque mais avant tout siennoise, Gianna Nannini, immortelle interprète d’I maschi (« les garçons ») a écrit pour le quotidien La Stampa une lettre ouverte à la reine Elizabeth, dans laquelle elle explique : « Pour comprendre le Palio, il faut le vivre. Il faut se faire posséder par lui. » Le maire l’invite d’ailleurs volontiers à assister au spectacle depuis les fenêtres de la mairie.
« Je sais, poursuit Gianna Nannini, qu’il est difficile, Majesté, de vous faire partager le concept de transe, mais c’est bien de cela qu’il s’agit : un état d’esprit dans lequel on souffre et on jouit en même temps. » La chanteuse a promis à la reine de lui servir de guide. A une condition : qu’elle vive la fête du début à la fin « dans la sueur et les larmes ».
Le Palio de Sienne ne s’est déplacé qu’une seule fois dans sa longue histoire et ce n’est pas un bon souvenir. C’était en 1938. Cette année-là, une course s’est déroulée à Florence à l’occasion d’une visite d’Hitler à Mussolini. Selon les archives, le gouvernement du Duce avait exigé que les fantini soient tous de « convictions rigoureusement fascistes ». Pour les chevaux, en revanche, pas de contre-indication.