Comment l’héroïne de « Borgen » est devenue « La Fille de Brest »
J’ai rencontré Emmanuelle Bercot il y a plus de trois ans.Elle venait de passer plusieurs mois à chercher une actrice pour incarner Irène Frachon, la femme médecin à l’origine de l’affaire du Mediator, héroïne du film La Fille de Brest. Elle ne trouvait pas de comédienne. C’est finalement Catherine Deneuve qui lui a conseillé de me rencontrer. Elle m’avait vue dans la série Borgen et pensait que je pouvais correspondre au rôle. Choisir une actrice danoise pour incarner une pneumologue bretonne : l’idée était assez folle sur le papier. Mais Emmanuelle s’est laissée convaincre.
Elle m’a rendu visite à Copenhague et m’a présenté le projet comme une sorte d’Erin Brockovich à la française. Elle ne voulait pas se concentrer sur l’aspect politique de l’affaire du Mediator, même si c’est le nœud du récit, mais plutôt privilégier le portrait d’Irène Frachon, cette lanceuse d’alerte qui a osé défier une puissante industrie pharmaceutique et s’est battue pour une cause juste.
« J’ai inventé ma propre lecture de l’histoire »
Une première rencontre a été organisée avec la pneumologue en février 2013. Pendant le dîner, qui a duré des heures, elle m’a raconté son histoire de manière très simple et pédagogique. J’ai découvert en Irène Frachon une femme géniale, chaleureuse, drôle, passionnée. J’avais le sentiment d’être assise face à une héroïne : un pur personnage de fiction. Elle racontait son combat contre un Goliath industriel sans aucun narcissisme.
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Après notre rencontre, elle m’a envoyé une tonne de documentation, des archives personnelles, des photos, mais j’ai préféré ne plus la revoir. Il fallait que j’appréhende le personnage seule, que j’invente ma propre lecture de l’histoire. Je ne voulais surtout pas tomber dans la mauvaise imitation, le souci récurrent des biopics. En réalité, je n’ai pas eu tellement de temps pour me préparer. Une semaine avant le début du tournage, j’étais encore sur le plateau de Westworld [une série télé diffusée sur OCS City]. Un jour, je joue dans un feuilleton de science-fiction, où l’on parle de nouvelles technologies et de physique quantique ; et le lendemain, je débarque dans des hôpitaux de Bretagne. Le choc est rude. Le pari a été d’autant plus compliqué qu’il y avait la barrière de la langue. Je possédais certes quelques notions de français, mais c’était largement insuffisant. Irène est une femme qui parle vite et fort, dans une langue complexe où se mêlent des termes scientifiques et de l’argot.
Sur son plateau, Emmanuelle est très précise, déterminée. Elle sait ce qu’elle veut et ne fait pas de cadeau. Certains jours, elle me reprenait sans cesse, en me demandant de « parler plus vite, trois fois plus vite ». Je n’étais vraiment pas dans ma zone de confort sur ce tournage. Mais c’est ce qui m’anime au cinéma : me frotter à d’autres langues et à d’autres imaginaires. Qu’importe les difficultés.
« La Fille de Brest » (2 h 08), d’Emmanuelle Bercot. En salles le 23 novembre.
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Propos recueillis par Romain Blondeau