Bryan Cranston, l’acteur invisible
Connu pour son rôle d’antihéros dans la série à succès « Breaking Bad », il a fait de son physique passe-partout son meilleur allié. Il en joue dans « Infiltrator », de Brad Furman.
Bryan Cranston se demande parfois s’il existe une vie après la mort. Une question toujours en suspens, mais dont il possède quelques éléments de réponse. « Vous savez, je connais déjà la première ligne de ma nécrologie. Même vous, vous la connaissez : “La vedette de la série télévisée “Breaking Bad” est morte le…” Ce n’est pas donné à tout le monde. Ma vie est en partie écrite. » Dès la production de la série, et a fortiori après la diffusion de sa cinquième et dernière saison en 2013, s’est posé la question de savoir comment l’acteur américain survivrait au personnage central de « Breaking Bad », Walter White, un professeur de chimie atteint d’un cancer du poumon, qui sombre dans la fabrication de méthamphétamine pour assurer un avenir à sa famille.
Dans le passé, Cranston a connu une certaine sérénité. Celle d’avoir survécu à tout dans les années 1980 et 1990, aux rôles de troisième zone dans des séries Z, à de multiples apparitions dans des publicités pour des couettes ou des shampoings, où son physique, qualifié de transparent – « négligeable, oubliable, invisible », ajoute l’acteur – faisait merveille.
Il a désormais une carrière à poursuivre. Il y a quelques mois, il a tenu le rôle de Dalton Trumbo, le scénariste américain placé par le maccarthysme sur liste noire durant les années 1950, dans le film du même nom, signé Jay Roach. Aujourd’hui, il interprète un agent fédéral infiltré au milieu des années 1980 dans les cartels de drogue colombiens dans Infiltrator (en salles depuis le 7 septembre) de Brad Furman.
« C’est l’un des plus gros coups de filet de l’histoire de la lutte antidrogue aux Etats-Unis. Bob Mazur était parvenu à démanteler un réseau de blanchiment d’argent lié à Pablo Escobar, qui avait conduit à près d’une centaine d’arrestations. Bob Mazur y était parvenu car il avait une qualité que possèdent certains acteurs. Dont je fais partie, à l’évidence : il était insignifiant. Il pouvait passer pour un autre avec une facilité déconcertante », explique l’acteur.
Il continue : « Moi, c’est très simple, ma spécialité dans la vie et à l’écran, c’est le mec auquel vous ne faites pas attention, un courant d’air, un moins-que-rien, le gars qui fait dire au spectateur qu’il faut bien en croiser un de temps en temps pour qu’un film ou une série télévisée reflète la réalité. Vous vous souvenez de moi dans Argo, de Ben Affleck ? Dans Drive, de Nicolas Winding Refn ? Non. Vous vous souvenez des films, j’en suis certain. Avec un effort, vous parvenez éventuellement à me replacer dans ces films, mais mon visage ne vous vient pas à l’esprit naturellement. »
Lorsque Bryan Cranston pose cette démonstration, c’est avec fierté. Avec le sentiment du travail accompli, d’exister par cette invisibilité.
Walter White : un homme terne, accablé, sans qualités
Il a cultivé cette insignifiance en regardant son père.Acteur comme lui, mais acteur raté. Après une carrière avortée sur les rings de boxe, Joe Cranston avait tenté sa chance devant la caméra. Il était apparu furtivement dans quelques séries télévisées, dans les années 1950, « Highway Patrol », « Space Patrol », « Badge 714 », de manière encore plus discrète sur le grand écran, figurant dans Le Début de la fin (1957) de Bert I. Gordon, où il est dévoré par une sauterelle géante, ou bien assurait la narration d’Erotica de Russ Meyer, qui suit des femmes sur la plage en train de se déshabiller (1961).
« Mon père cherchait le succès, ou du moins la garantie de travailler régulièrement. Il n’y est jamais parvenu et en est resté brisé. Quand il obtenait un rôle, il s’écriait : “C’est super !” mais quand il essuyait un refus, il lâchait : “Fait chier !” Très rapidement, il n’a plus dit que ça… »
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Si Joe Cranston ne pouvait se transformer en modèle de vie pour son fils, il est en revanche devenu un exemple en matière de comédie. C’est avec lui en tête que Bryan Cranston a bâti le personnage de Walter White : un homme terne, accablé, sans qualités. « Je voulais qu’il porte une moustache, car la moustache désigne souvent l’impuissance. Je tenais à ce qu’il porte des vêtements ternes, beiges ou kaki le plus souvent, pour qu’on les confonde avec la couleur du mur. Il y avait enfin sa coupe de cheveux, je voulais qu’on pense à un balai à franges. »
Recréer l’instinct
Il est toujours apparu à Bryan Cranston que la trajectoire de l’antihéros de « Breaking Bad » restait idéale pour un acteur, un parcours qui le mène du bien vers le mal, où il est conduit à faire fi de toute éthique. A l’écran, ce cheminement l’intéresse tout particulièrement. Et il s’est efforcé de le reproduire pour son personnage dans Infiltrator. « Bob Mazur, l’homme que j’incarne, est une sorte de héros. J’ai passé beaucoup de temps avec lui. Il refuse toujours de se montrer en public ou d’être photographié, vu le nombre de personnes qu’il a fait tomber. La fonction de cet homme était non seulement de jouer la comédie, mais de se comporter en ordure. Bob Mazur devait épouser la mentalité d’un criminel, connaître aussi bien que lui les circuits du blanchiment d’argent. »
Au début de sa carrière,après avoir quitté New York dans les années 1980 et être retourné à Los Angeles, où il avait obtenu un rôle dans un soap opera, Bryan Cranston se souvient avoir dû gérer les assauts d’une petite amie, dans la lignée de Liaison fatale, le film d’Adrian Lyne avec Michael Douglas. Celle-ci le noyait de messages sur son répondeur et menaçait de le tuer. L’acteur a envisagé de s’en prendre à elle, pour sauver sa peau. Il n’y a pas eu de passage à l’acte. Mais l’intention est restée, avec l’idée de recréer cet instinct dans ses rôles. « Vous pensez que je serais capable de tuer quelqu’un dans Infiltrator ? » De fait, oui.
« Infiltrator » (2 h 07), de Brad Furman, avec Bryan Cranston, Diane Kruger, John Leguizamo. En salles.
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