Quand Lancôme ménage la chèvre Pékin et le chou Hongkong
Le Monde | 15.06.2016 à 09h22 |Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Face à la pression chinoise, la marque française a annulé le concert d’une chanteuse pro- « mouvement des parapluies ». Ce qui a provoqué l’ire des Hongkongais.
Tout a commencé le 2 juin, par un message sur la page Facebook de la chanteuse hongkongaise Denise Ho. La vedette de Canto-pop annonce qu’elle chantera le 19 juin, à Hongkong, lors d’une campagne de promotion de la marque Lancôme. Le 4 juin, le quotidien chinois Global Times – connu pour son ton ultranationaliste – publie un post vénéneux sur Weibo (le Twitter chinois) pour signaler que Lancôme tout comme Listerine, marque de bains de bouche, ont choisi « l’indépendantiste » Denise Ho comme « porte-parole ».
Dans les heures qui suivent, des milliers d’internautes chinois déversent leur fiel contre la chanteuse et appellent à boycotter Lancôme et sa maison mère L’Oréal. Car Denise Ho, 39 ans, est une star engagée : lesbienne assumée, elle a soutenu le « mouvement des parapluies » à l’automne 2014. Quand la jeunesse hongkongaise était descendue dans la rue pour réclamer le suffrage universel, Denise Ho avait chanté devant des milliers de manifestants. Et avait été arrêtée lors d’un sit-in. Un engagement qui lui a coûté cher puisque la plupart de ses contrats en Chine ont été annulés.
Ce n’est pas un hasard si Global Times a choisi le 4 juin pour envoyer son post : c’est le jour anniversaire du massacre de Tiananmen. Une tactique presque classique de diversion qu’emploient la propagande chinoise et ses « trolls » du Net. Dès le lendemain, Lancôme faisait machine arrière annonçant sur Facebook que Denise Ho n’était pas l’une de ses
« porte-parole » et annulant le concert pour « raisons de sécurité ».
A Hongkong, la réponse ne s’est pas fait attendre. Les fans de la chanteuse ont à leur tour appelé au boycottage de la marque française, arguant que Lancôme avait « cédé » aux pressions de Pékin. « Désolé pour la confusion, Lancôme n’a rien à faire à Hongkong, qu’ils retournent en Chine ! », a tweetté un internaute.
Denise Ho, quant à elle, a publié un communiqué acerbe : « Il n’est pas juste d’être puni pour avoir pris la parole, pour avoir tenu tête, pour s’être mis en quête de ces droits que nous considérons comme des droits de l’homme essentiels. Quand une marque mondiale comme Lancôme en est réduite à s’agenouiller devant un pouvoir intimidant, nous devons affronter le problème en face. » Un casse-tête pour Lancôme. Hongkong est un marché-clé, grâce notamment… aux clients chinois de passage, qui y font des razzias de produits de luxe.
- Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Journaliste au MondeSuivreAller sur la page de ce journaliste