Le roi de la jungle

La mode d’été (celui qui arrive péniblement) n’est pas réservée aux femmes. Simplement, le sexe dit fort a parfois une conception singulière du vestiaire pour climat ensoleillé. Un exemple ? L’apparition, dès les premières poussées de température, d’un « homme d’été » qui cherche la fraîcheur en costume de lin et mocassins de cuir tressé (pieds nus, évidemment). Parfois, la veste tombe, et il se contente d’un pantalon et d’un tee-shirt, mais la panoplie se décline toujours dans des tons sable, censés orienter l’imaginaire vers le désert, les tropiques, l’aventure.

Pour le passant lambda, ce look rappelle plutôt les publicités pour après-rasage millésimées 1989-1990, celles où le mâle urbain et néanmoins viril conquiert le monde en quelques giclées de parfum. Les moins indulgents – ou les plus accros à la vie cathodique – verront dans ce choix un attachement mi-nostalgique mi-malsain, à la série américaine « Deux flics à Miami », dans laquelle les héros tombent les filles et les mafieux enfilent des tenues assez semblables à celle qui nous occupe, à ceci près que les leurs sont adaptées au climat.

Auréolé de mystère

En 2016, les motivations esthétiques de « l’homme d’été » sont beaucoup plus floues. Il est auréolé de mystère, quand ses congénères en veste de laine sont auréolés de transpiration. Installé à une terrasse, les lunettes de soleil sur le nez ou en équilibre sur la tête, il sirote un café, l’air pénétré. Photographe spécialisé dans la vie sauvage en transit dans la jungle urbaine ? Ecrivain voyageur à la recherche d’inspiration ? Héritier d’une vieille fortune italienne descendu de son voilier ? Impossible de savoir.

Quoi qu’il en soit, il attire tous les regards, y compris les siens, car il observe intensément son reflet dans la vitre et jette parfois un coup d’œil aux femmes qui le scrutent de loin, moins effarouchées par son aura qu’incommodées par le nuage de parfum qui l’entoure comme une armure olfactive. A mesure que « l’homme d’été » stagne en terrasse, le mythe du personnage viril et solaire s’effrite. Le costume en lin se froisse quasiment à vue d’œil, les miettes et les micro-taches de café s’y agrègent comme un aimant.

Quand il se lève enfin pour régler au comptoir, il est tout chiffonné et boitille un peu, victime du cuir tressé de ses mocassins qui s’incruste dans la peau de ses pieds fragiles. L’ampoule guette le mâle, fagoté désormais comme un type qui vit mal sa gueule de bois. La réalité l’a rattrapé : ce monsieur est en vérité assureur/démonstrateur en parfumerie/vendeur de vêtements masculins. Sa vie ordinaire le démange, surtout l’été, alors il enfile son costume en lin de Superman des villes. Qui, accordons-lui ce crédit, est toujours moins ridicule que la cape du vrai superhéros.