Les Chambres d’agriculture s’emparent de l’engouement pour les produits de proximité
D’une part, des agriculteurs en crise et peinant à imposer aux transformateurs et distributeurs des prix « justes ». D’autre part, une demande croissante de transparence sur l’origine des aliments et donc de produits de proximité, qui concernerait désormais trois quarts des Français, selon une étude Ipsos de 2016 citée par les Chambres d’Agriculture.
Chargés de représenter le monde agricole, mais également de l’accompagner dans ses transformations, ces établissements publics ont donc fini par se saisir du potentiel de ce nouveau marché.
« C’est l’occasion de renouer le lien entre agriculteurs et consommateurs, qui s’était brisé au fil du temps à cause de l’évolution des modes de vie », soulignait début janvier le président de l’instance nationale du réseau Claude Cochonneau lors d’un petit-déjeuner de presse organisé autour de ce sujet.
Maintien de la valeur ajoutée au niveau local, création d’emplois, naissance de nouvelles filières décentralisées, mais également enrichissement du lien social et pédagogie alimentaire sont autant de bénéfices que les Chambres d’agriculture espèrent obtenir en aidant les agriculteurs à s’organiser face à l’engouement pour le locavorisme.
Les consommateurs « bienvenus à la ferme »
Diverses initiatives fleurissent ainsi depuis quelques années, se multipliant au fur et à mesure que leur promotion s’améliore. Le pionnier a été le réseau « Bienvenue à la ferme », marque développée en 1988 par les Chambres de l’agriculture et déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).
La grande majorité des quelque 8.000 producteurs qui désormais y adhèrent vendent leurs produits dans leurs fermes, en offrant parfois en parallèle séjours, loisirs ou gastronomie. Certains participent à des marchés des producteurs du pays, développent des drives fermiers pour répondre à la demande d’achat sur internet, ou s’associent pour gérer des magasins en commun. L’ensemble de ces activités génère désormais environ 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Des « projets alimentaires territoriaux » pour une meilleure synérgie
« Ces circuits dits ‘courts’ car ils impliquent au maximum un intermédiaire ne suffisent toutefois pas à répondre à la nouvelle demande », admet Claude Cochonneau.
Les Chambres misent donc désormais aussi sur les circuits « de proximité », qui englobent plusieurs intermédiaires (grossistes locaux et artisans pour les produits transformés) dans un périmètre restreint – bien qu’« encore à définir »- explique le président. Une approche qui a notamment été à l’origine du développement depuis 2015 d’une centaine de « Projets alimentaires territoriaux » dans tout l’Hexagone: des initiatives promues par la loi pour l’avenir de l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, visant à favoriser la structuration de filières locales grâce à une mise en réseau de l’ensemble des acteurs potentiels.
Souvent soutenues, voire promues par les chambres d’agriculture départementales ou régionales, ces synergies doivent permettre de mieux comprendre le marché, de se regrouper pour assurer quantité et qualité régulières et de garantir à chaque maillon de la filière de trouver son compte à l’intérieur des nouveaux circuits. Elles facilitent également le développement d’offres pour la restauration collective, particulièrement convoitée par les producteurs locaux en raison de son obligation d’exemplarité et de son potentiel éducatif vis-à-vis des futurs consommateurs.
Un salon dédié au local à Lyon
La naissance de nouvelles filières locales est également la raison de lancement de Planète Appro, premier salon dédié aux professionnels des circuits alimentaires de proximité qui se tiendra les 2 et 3 avril prochains à Lyon. « Devant les problèmes économiques que rencontrent nos agriculteurs, cette initiative se veut porteuse de nouvelles perspectives. En réunissant agriculteurs, gros opérateurs et élus locaux, elle offre l’occasion d’identifier des opportunités insoupçonnées », explique Gérard Bazin, président de la Chambre d’agriculture Rhône-Métropole, qui organise le salon. Il cite notamment l’exemple des brasseries artisanales qui fleurissent depuis quelques années en France et qui cherchent des ingrédients produits localement, et la possibilité de contrats à prix garantis avec certains opérateurs.
L’événement sera parrainé par le président du Conseil de surveillance du réseau de magasins spécialisés en bio La vie claire, Régis Pelen. « Le lien entre les demandes de produits locaux et bio est en effet étroit », explique Claude Cochonneau. Les chambres accompagnent d’ailleurs dans leur réflexion et mise en oeuvre les agriculteurs qui songent à se convertir au bio. Afin de ne pas trop subir les limites de ce type de production -qui par exemple, parfois, ne rentre pas dans les cahiers de charges de la restauration collective-, les Chambres d’agriculture préfèrent toutefois promouvoir l’ensemble des produits locaux assortis de « signes de qualité ». La marque « Bienvenue à la ferme » implique ainsi le respect d’une charte éthique et d’un cahier des charges précis, contrôlé grâce à des procédures d’agrément et de suivi internes. 43% des producteurs fermiers du réseau bénéficient également d’autres labels officiels (AOP, IGP ou Bio).
L’obstacle du prix
Si ces signes de qualité participent sans doute à l’essor des produits locaux, le principal obstacle à la conquête de nouvelles parts de marché reste toutefois leur prix. Selon une étude Ipsos réalisée pour Bienvenue à la ferme en 2014, un Français sur deux les considère en effet plus chers que ceux industriels. 62% de la population estime d’ailleurs que des prix plus accessibles constitueraient le meilleur moyen de renforcer la consommation locale.
Si quelques composantes de ce coût accru sont structurelles, telles que le recours à une main-d’oeuvre française et une production non à la chaîne, « ce lien entre produits locaux et plus chers n’est pas inévitable », estime néanmoins Claude Cochonnau. « Et nous tentons de le rompre, en travaillant sur certaines marges ». Un élargissement du marché et une meilleure mise en réseau pourraient par exemple pallier la difficulté actuelle des producteurs face à une demande de quantités encore faibles. Mais « dans la restauration collective, la matière première, qui constitue un tiers des prix des repas, ne peut pas être la seule variable d’ajustement », observe pour sa part Michel Boissier: une meilleure lutte contre le gaspillage permettrait par exemple de réduire les coûts tout en payant un prix « juste » aux producteurs locaux.
Une décentralisation trop coûteuse?
A l’intérieur même de l’administration publique, cette approche de proximité ne semble toutefois pas faire l’unanimité. Hasard du calendrier, le même jour où les chambres présentaient leurs actions locales à Paris, la Cour des comptes, dans son rapport annuel, recommandait de fusionner des chambres départementales d’agriculture afin de « mieux mobiliser leurs moyens en faveur des agriculteurs » et de davantage maîtriser les charges. Ces chambres départementales ou intra-départementales sont aujourd’hui en France 89 , contre 13 régionales
« Les projets alimentaires territoriaux, dont la réussite dépend de la connaissance du terrain, sont le meilleur exemple de l’intérêt de maintenir une structuration territoriale de nos établissements au plus près des besoins: au niveau départemental voire au-delà », réagit Claude Cochonneau, avant de souligner: « La Cour des comptes a une vision très mathématique, urbaine, parisienne de l’aménagement des territoires. Nous, nous connaissons le terrain ».