Ne taxez pas les robots, formez les salariés !
L’industrie française souffre sur le long terme d’un manque d’investissement. Nous sommes pris en tenailles entre des pays à bas salaires dont l’offre est meilleur marché et ceux qui peuvent vendre cher des produits de qualité grâce à un outil de production performant.
Soutenir l’investissement productif
Pour retrouver notre compétitivité en conservant des salaires élevés et une bonne protection sociale, il nous faut monter en gamme en investissant dans des procédés de production plus efficaces et pouvoir proposer des produits innovants et de qualité.
Le gouvernement l’a compris, qui a pris plusieurs mesures en faveur de l’industrie du futur (CICE permettant aux entreprises de reconstituer leurs marges, sur-amortissement des investissements jusqu’au 1er avril 2017, programme pour l’industrie du futur permettant notamment l’accompagnement de nombreuses PME dans leur démarche de modernisation, fiscalité favorable à l’investissement dans la recherche). Ces efforts commencent à porter leurs fruits : la Fédération des industries mécaniques constate en 2016 une augmentation des commandes de robots.
Taxer les robots contrarierait cette dynamique. La mesure est justifiée par la perception que les robots voleraient nos emplois. Pourtant, on constate que les pays qui ont le plus de robots, comme la Corée et l’Allemagne, sont ceux qui ont su le mieux développer ou préserver leur industrie.
Ce paradoxe résulte de plusieurs mécanismes. D’une part, si le robot accomplit des tâches – souvent pénibles et répétitives – jadis confiées à un opérateur humain, il faut des gens, souvent très qualifiés, pour concevoir, fabriquer et installer les robots. Certes, il n’y aurait pas de gain de productivité si les coûts de conception et de fabrication des robots excédaient les économies qu’ils permettent de réaliser.
Entretenir la dynamique
Mais par ailleurs l’entreprise équipée de robot, si elle est devenue plus compétitive, prend des parts de marché à ses concurrentes, ce qui lui permet d’augmenter sa production et d’employer plus de salariés (souvent en dehors de la fabrication). Enfin, la meilleure productivité de l’entreprise se traduit par une hausse de ses marges ou une baisse de ses prix. Dans les deux cas, le pouvoir d’achat supplémentaire qui en résulte crée une demande solvable qui stimule l’économie.
Une partie des emplois créés peuvent ne pas être dans la même entreprise ni dans le même secteur (on parle de « déversement sectoriel »). Ils peuvent surtout ne pas être dans le même territoire, si la demande supplémentaire se porte plutôt vers des produits importés. C’est pourquoi le lien entre achat de robots et emploi est moins clair et systématique qu’entre robots et croissance de l’industrie.
Cependant nous n’avons pas vraiment le choix : si une entreprise ne modernise pas son appareil de production, ses produits ne résistent pas à la concurrence et ses usines ferment. Nous ne le voyons que trop souvent. En taxant les robots, on la dissuade de se moderniser, on préserve à très court terme quelques emplois et on condamne l’entreprise.
Accompagner l’emploi
Dans les bons cas, fréquents, l’automatisation des tâches les plus répétitives s’accompagne d’une évolution du contenu des emplois vers des tâches plus qualifiées. Ainsi la multiplication des distributeurs automatiques de billets a permis aux employés de banque de se concentrer sur des tâches plus gratifiantes et plus qualifiées de conseil à leur clientèle.
Les emplois qui disparaissent du fait de la robotisation sont en général peu qualifiés. Ceux qui apparaissent exigent un niveau de compétence supérieur. Accompagner les transitions représente donc un immense défi pour les directions des ressources humaines des entreprises pour notre système de formation.
L’enjeu de l’industrie du futur est donc cet accompagnement individuel permettant à ceux qui sont déjà sur le marché du travail d’évoluer vers des tâches plus qualifiées et à ceux qui n’y sont pas encore d’y être bien préparés.
Par Thierry Weil, Membre de l’Académie des technologies, Professeur au centre d’économie industrielle, Mines ParisTech – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation