Au Laos, le 7e art sort de l’obscurité
On est loin du tapis rouge de la Croisette. Mais le Festival du film de Luang Prabang a une importance cruciale pour les cinéphiles du Laos. Du 2 au 7 décembre, la troisième ville du pays, belle endormie de 50 000 habitants nichée au creux de montagnes verdoyantes sillonnées par le Mékong, a accueilli 20 000 spectateurs. Sur la place principale, aux abords du mont Phousi et du marché de nuit, un écran géant dressé face à 1 000 chaises en plastique bleu suffit pour que la magie opère. Des enfants scrutent la toile avec des yeux émerveillés, des familles entières gloussent et s’invectivent au milieu de touristes sirotant une Lao Beer. Une atmosphère de fête telle qu’elle existait dans les foires de village d’antan.
Seulement trois cinémas sur le territoire
Pour sa septième édition, l’unique festival consacré au cinéma d’Asie du Sud-Est a diffusé trente-deux films en présence de vingt et un de leurs auteurs. Un pari osé dans une ville qui ne compte même pas une salle de cinéma !
Car au Laos, deux décennies de guerre civile (1953-1973) ont eu raison de ce divertissement, pourtant populaire. Depuis, l’industrie cinématographique est étroitement liée au parti communiste et sert sa propagande, à l’instar de Red Lotus (1988), le film laotien le plus connu qui mettait en scène des amours contrariées sur fond de guerre. Aujourd’hui, malgré l’ouverture de trois cinémas dans le pays, les Laotiens sont plus habitués aux séries et films thaïlandais diffusés à la télévision, en raison de la proximité des deux langues. Les jeunes privilégient les DVD piratés ou visionnent des films sur Internet, le plus souvent sur leur téléphone portable.
« Ce festival offre aux Laotiens une fenêtre sur l’ailleurs, se félicite son organisateur Gabriel Kuperman, un New-Yorkais de 31 ans expatrié en 2008. Mais leur montrer un blockbuster américain ou un film français leur parlerait sans doute moins que des films évoquant la région. »
Comme le documentaire projeté en ouverture – Banana pancakes and the Children of Sticky Rice, réalisé par le Néerlandais Daan Veldhuizen –, qui raconte les frictions nées, à l’arrivée de routards dans un village isolé du nord du pays, de la quête d’authenticité des backpackers et de la soif de modernité des locaux. Une histoire universelle qui entre particulièrement en résonance à Luang Prabang, bourgade muséifiée qui, depuis son classement au patrimoine mondial de l’Unesco en 1995, subit et profite à la fois du boom du tourisme. On retiendra aussi Diamond Island, le film du Franco-Cambodgien Davy Chou, ou encore le documentaire vietnamien Finding Phong, de Tran Phuong Thao, qui suit le processus de transformation d’un transsexuel en femme – qui devrait sortir en France.
Au-delà des frontières laotiennes, ce rendez-vous annuel permet de bâtir une communauté d’artistes et d’idées dans une région qui, de la Birmanie aux Philippines, est extrêmement variée. Pour la première fois cette année, dix jeunes réalisateurs ont été invités à un atelier mené par le renommé Tribeca Film Institute, sur l’art du pitch, étape fondamentale vers la recherche de financeurs et de diffuseurs. « Le Laos est un pays de 6 millions d’habitants avec un marché minuscule, détaille, sous son béret, le réalisateur Xaisongkham Induangchanthy. C’est dur de gagner sa vie avec le cinéma, mais, grâce au festival, nos films sont vus, appréciés, et les choses évoluent lentement. »At the Horizon, le thriller qu’il a produit, est le premier film laotien acheté par la chaîne américaine HBO. Le nombre de productions locales a triplé, pour passer à cinq ou six par an depuis l’essor du plus charmant festival du monde…
Par Eléonore Sok-Halkovich
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