En Argentine, une icône nommée Gilda
À l’intérieur du véhicule funéraire, la caméra fixe longuement le cercueil. Ainsi débute, dans un silence oppressant, le film Gilda, no me arrepiento de este amor (« Gilda, je ne regrette pas cet amour »), un biopic sur l’icône argentine de la cumbia, genre musical local. Gilda est morte le 7 septembre 1996 dans un accident de la route où périrent également sa mère, sa fille et trois de ses musiciens. Elle avait 34 ans.
Réalisé par Lorena Muñoz, connue jusqu’ici pour des documentaires, Gilda est un immense succès à Buenos Aires : le film le plus vu de l’année. Sorti le 15 septembre, il comptabilisait plus de 225 000 entrées en quatre jours d’exploitation. L’étonnante ressemblance de l’actrice uruguayenne Natalia Oreiro avec la reine de la cumbia contribue à la crédibilité du film, à cheval entre le documentaire et la fiction.
La bande-originale du film « Gilda »
Le spectateur plonge dans la vie de Gilda – de son vrai nom Miriam Alejandra Bianchi –, institutrice dans un jardin d’enfants issue de la classe moyenne, mariée et mère de deux enfants, qui, à 30 ans, décide de vivre de sa passion. Le film est un hommage sans sentimentalisme au courage d’une femme qui a dû se battre contre les préjugés, familiaux et sociaux. C’est également une reconstruction de l’époque, des bas-fonds de la scène musicale dominés par des mafias et peuplés de bombes sexuelles avec lesquelles l’institutrice n’a rien à voir. Grande et mince, pourvue d’un visage d’ange, Gilda avait plutôt des allures de princesse dans les bidonvilles.
Une sainte
Si Gilda, no me arrepiento de este amor(titré d’après un tube de la chanteuse) est un tel carton en Argentine, c’est que, après une carrière fulgurante dans le monde très machiste de la musique tropicale, la mort prématurée de la chanteuse a fait d’elle un mythe populaire, voire une sainte. Ses fans lui attribuent des miracles.
Vingt ans après sa disparition tragique, ils sont toujours des centaines à se rendre en pèlerinage sur sa tombe, au cimetière de la Chacarita à Buenos Aires, ou à déposer des offrandes au pied du sanctuaire dressé sur les lieux de l’accident fatal, en bordure de la route nationale 12 : fleurs, ours en peluche, dessins, rosaires, lettres de vœux, de suppliques… « Gilda a aidé beaucoup de femmes à croire en elles-mêmes », estime Natalia Oreiro, fan de la première heure des cumbias romantiques de Gilda, qui écrivait elle-même les paroles de ses chansons, aujourd’hui reprises dans les stades de football, comme des hymnes populaires gravés dans l’inconscient collectif argentin.
Le président de centre droit Mauricio Macri avait fait du hit No me arrepiento de este amor le thème musical de sa campagne électorale. Le jour de son investiture, le 10 décembre 2015, il avait même osé quelques pas de cumbia sur le balcon historique de la Casa Rosada, le palais présidentiel, au risque de choquer.
Le sort semble s’acharner sur les idoles de la chanson populaire argentine. Gilda est morte prématurément au sommet de sa gloire, comme Rodrigo Bueno, icône de la musique populaire disparue à 27 ans, lui aussi dans un accident automobile, en 2000. Comme elle, le chanteur a son sanctuaire sur la route reliant la capitale argentine à La Plata, où ses fans viennent lui rendre hommage et lui demander des miracles. On prétend que « Santo Rodrigo » donne du travail et guérit. Il est mort un 24 juin, le même jour que le mythique Carlos Gardel, tué à 44 ans dans un crash d’avion à Medellín, en Colombie, en 1935, au retour d’une tournée triomphale aux États-Unis.
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