Au Liban, la religion sur la peau
Figures de l’islam, symboles ou slogans… Depuis une dizaine d’années, les jeunes chiites libanais ont trouvé une nouvelle manière d’exprimer leur foi : le tatouage. Une tendance qui s’accentue depuis le début de la guerre en Syrie.
Le visage de l’imam Hussein est gravé sur sa poitrine, juste au-dessus du cœur. Hussein Mansour s’est fait tatouer « par dévotion » le portrait du petit-fils du prophète Mahomet, figure révérée par les fidèles de confession chiite, branche minoritaire de l’islam.
Sur le dos, ce Libanais de 21 ans porte un autre tatouage religieux et un troisième suivra bientôt. « C’est un choix personnel, une manière d’exprimer ma foi », explique le jeune homme, dont la jambe droite est décorée d’un portrait de l’actrice américaine Jennifer Lawrence.
Depuis une dizaine d’années, « le tatouage religieux est à la mode chez les chiites : slogans, images, symboles, comme l’épée d’Ali… Ce qu’on me demande le plus actuellement, c’est le chiffre 313 [le nombre des compagnons d’armes du Mahdi, l’imam caché dont les chiites attendent le retour]. Mais les chrétiens aussi se font tatouer des signes religieux : une croix, ou le visage du Christ », affirme Khalil Abdallah, l’un des maîtres tatoueurs du salon Al-Hindi.
« Une forme de protection »
Ce lieu renommé est situé à Chiyah, une banlieue à majorité chiite, aux portes de Beyrouth. Interdit chez les sunnites, le tatouage est autorisé par certains clercs et sous certaines conditions chez les chiites. Posés sur la table de la petite pièce où ce colosse accueille ses clients, des catalogues proposent des modèles de dessins et de calligraphies à caractère confessionnel.
Ali, un jeune tatoueur qui a lui aussi un atelier, souligne que « le tatouage religieux a connu un véritable essor chez les chiites avec la guerre en Syrie », à laquelle prennent part des milliers de combattants libanais du Hezbollah, pilier militaire du régime du président syrien Bachar Al-Assad.
Il se rappelle avoir appris à la télévision – la chaîne du Hezbollah diffuse les portraits des miliciens tués – la disparition en Syrie d’un client : « Il avait souhaité un tatouage en l’honneur de Sayyida Zeinab [la sœur de l’imam Hussein]. Il est mort en défendant son mausolée », situé dans la banlieue de Damas. « La guerre en Syrie et les divisions au Liban réveillent chez certains le désir de marquer leur appartenance communautaire », analyse de son côté Khalil Abdallah.
Pour les jeunes qui partent en Syrie avec le Hezbollah, chez qui le tatouage fait fureur, c’est à la fois « une forme de protection et une marque de leur attachement religieux ».
Mais les combattants ne constituent qu’un fragment de ceux qui portent un tatouage religieux. Ainsi, il y a quatre ans, Ali Farhat, un commercial de 32 ans, a fait inscrire sur son thorax, en arabe, la formule « ô Hussein », en hommage « à la souffrance » du petit-fils du prophète. Son martyre, durant la bataille de Kerbala (en 680), événement au centre de la piété chiite, est commémoré chaque année par les fidèles, du Pakistan au Liban, lors des cérémonies de l’Achoura.
« Tatouages identitaires »
« Hussein est le symbole de la longue oppression subie par les chiites, qui se poursuit dans plusieurs pays, comme Bahreïn, affirme Ali Farhat. La guerre entre sunnites et chiites bat son plein au Proche-Orient. Je veux dire à tout le monde que je suis chiite : par un tatouage ou, s’il le faut, en portant les armes. »
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La communauté est aujourd’hui influente au Liban, alors que le Hezbollah, parti armé et principale force politique chez les chiites, est l’acteur le plus puissant dans le pays. « Cette position de force n’empêche pas que les chiites se sentent menacés. Nous sommes une petite minorité dans le monde [les chiites forment entre 10 % et 15 % des musulmans, dont l’écrasante majorité est sunnite] », poursuit le jeune homme, qui porte aussi sur son dos un immense tatouage représentant le visage du Christ, « un prophète, dans l’islam ».
D’autres chiites se font graver le portrait de leaders politiques. Ali Farhat n’y pense pas : « La politique, ça va et ça vient. La religion est éternelle. »
Prisés, les tatouages identitaires ne représentent toutefois qu’une petite partie du travail des tatoueurs, dont les ateliers ont essaimé dans les banlieues chiites de Beyrouth : lors de notre visite, une femme fait inscrire le prénom de ses enfants, un jeune homme montre des éléments graphiques sur ses bras.
La mode des signes religieux ne fait pas, du reste, l’unanimité au sein de la communauté. Ali, le jeune tatoueur, considère que dans un Liban « au passé de guerre et au présent fait de tensions confessionnelles, vouloirafficher son identité par des tatouages est une erreur. Cela trace des frontières ». « Est-ce que cela aggrave le confessionnalisme ?, s’interroge son confrère Khalil Abdallah. Qu’on le veuille ou non, celui-ci est présent chez les jeunes Libanais. »