Les Belges digèrent mal la loi « mayo »
Afin de lutter contre la concurrence étrangère, un décret royal réduit la teneur en matière grasse et œuf de la mayonnaise. Sacrilège !
Le couperet est tombé : l’arrêté royal « mayonnaise » a été publié au Moniteur belge, vendredi 10 juin. Traduction ?Le Journal officiel du royaume a inscrit dans la loi un texte qui ébranle l’un des fondements de sa culture et de sa gastronomie : la « mayo ». Celle-ci, qui nappe les barquettes de frites, caractérise la célèbre recette de tomates-crevettes et lie le filet américain – le steak tartare « made in Belgium » –, vit ses derniers jours sous sa forme ancestrale.
Sous le couvert d’une « modernisation de la législation alimentaire, parfois vieille de trente ou soixante ans », le ministre flamand de l’économie et de la consommation, Kris Peeters, a posé un acte qui confine au sacrilège. La teneur minimale en matière grasse de la mayonnaise sera abaissée de 80 % à 70 % et celle en œufs, de 7,5 % à 5 %.
Un appel à consommer plus « light »
Souci sanitaire ? Industriel plutôt : les entreprises belges devraient être mieux armées face à la concurrence étrangère qui, préservée des règles en vigueur au royaume, produit déjà des sauces à moindre coût, car comportant moins de matière grasse et d’œufs.
Il fallait donc aider un secteur alimentaire qui compte « parmi les meilleurs au monde » – c’est le ministre qui le dit – et, surtout, pèse 90 000 postes de travail. L’indigeste réforme, qui a déclenché un torrent de protestations, semble d’autant plus inacceptable à beaucoup de puristes qu’elle est assortie d’un appel, jugé hypocrite, à consommer plus « light ».
Il est vrai, toutefois, que quarante-cinq autres textes de la loi belge sont en cours de révision tandis que la ministre de la santé publique, Maggie De Block, vient de signer une convention avec l’industrie alimentaire – des chocolatiers, des chaînes de fast-food et des cuisines collectives. Le but : réduire de 5 % la consommation de graisses, de sel et de sucres. L’intention est noble et l’engagement du secteur, prétendument sincère.
Une image d’emblème national
On relève cependant que, faute de moyens, les contrôles seront presque inexistants. En outre, des nutritionnistes redoutent l’apparition, dans les aliments, de substances peut-être plus nocives que celles dont on veut limiter la présence.
Auréolée de son image d’emblème national, au même titre que le waterzooi de Gand, le sirop de Liège ou la tarte au riz de Verviers, la sauce mayonnaise déclenche les passions. Sur les réseaux sociaux, Kris Peeters est vilipendé, accusé de favoriser des produits qui contiendront des œufs de synthèse et de l’huile de palme. « Quand notre cher Auguste Escoffier[grand cuisinier français, mort en 1935] va apprendre ça, il va se retourner dans sa tombe », écrit un lecteur sur le site du Soir de Bruxelles.
Un autre, qui dénonce cette polémique « incroyable, alors qu’il y a des événements plus graves à traiter », se fait vertement rabrouer par un contradicteur : « Ah ! Et la mayonnaise sur vos frites, c’est pas primordial, peut-être ? » Précision – non superflue – : redoutant sans doute l’impopularité, Kris Peeters a, en réalité, assorti sa loi d’un discret appendice disposant qu’un label « mayonnaise traditionnelle » sera autorisé. Plus chère, celle-ci devra comporter… 80 % de matière grasse et 7,5 % d’œufs ! Magique, le compromis à la belge.