Agathe Bonitzer : « Jouer éloigne de soi, c’est superlibérateur »
Dans le film de son père Pascal, « Tout de suite maintenant », en salles le 22 juin, l’actrice de 27 ans délaisse les rôles de jeune fille pour incarner une femme.
Même si elle est la « fille de »(sa mère, la réalisatrice Sophie Fillières, et son père, le scénariste et réalisateur Pascal Bonitzer), Agathe Bonitzer n’a plus de craintes à avoir quant à sa légitimité. Bluffante dans Tout de suite maintenant – de son père –, où elle est une cadre ambitieuse de la haute finance, la jeune actrice de 27 ans sera à l’affiche de nombreux films dans les mois à venir.
Lire la critique de « Tout de suite maintenant » : Un Bonitzer de famille
Avec Nora, le personnage principal de « Tout de suite maintenant », vous jouez votre premier rôle de femme adulte…
C’est vrai. C’est la première fois que j’incarne quelqu’un avec une certaine maturité professionnelle et sociale. Dans mes rôles précédents, j’étais davantage empêtrée dans des problèmes de jeune fille. Je joue enfin une femme de mon âge.
Comment appréhender cette maturité ?
Appréhender est le mot juste. Nora a une forme de dureté dans le travail et dans la vie – une dureté qui n’est qu’une carapace car, au fond, c’est une jeune femme très fragile. Je me suis approchée d’elle par petits bouts. J’ai essayé de la comprendre. Pour ce faire, j’ai écrit sur elle, tenté de la décrire, de la définir. J’aime beaucoup écrire.
Connaissiez-vous le milieu de la finance ?
Pas du tout, mais le cousin d’Agnès de Sacy, la coscénariste, dirige une société de fusion-acquisition. Il m’a fait passer pour son assistante afin que je puisse m’approcher de ce milieu qui m’est totalement inconnu et dont le vocabulaire même relève d’une langue étrangère. Il n’est pas toujours simple, pour une femme, de travailler dans la finance. C’est pourquoi Nora se blinde davantage.
A qui avez-vous songé au moment d’incarner le personnage de Nora ?
Nora n’est à sa place nulle part : ni dans la société financière qui l’emploie – et dont elle dénonce les procédés – ni dans son milieu familial dont elle se sent exclue. J’ai beaucoup pensé à Ingrid Bergman dans Les Enchaînés cachant sa fragilité derrière de l’humour et du cynisme ; ainsi qu’à la Katharine Hepburn d’Indiscrétions : dans le film de George Cukor, tout le monde la voit en femme froide, pseudovirginale, insaisissable et sarcastique alors qu’en réalité elle a autant envie que peur d’aimer. Et elle a par ailleurs des rapports très complexes avec son père – tout comme Nora.
C’est Jean-Pierre Bacri qui joue le père de Nora…
Je l’adore ! Il avait déjà joué mon père dans Les Sentiments, de Noémie Lvovksy – j’avais alors 13 ans –, et nous avons fait trois films ensemble.
…Et c’est votre père, Pascal Bonitzer qui réalise le film. Or l’un des thèmes est justement celui des relations père-fille…
Tout était bizarre dès le début. J’avais déjà tourné avec lui, mais des petits rôles. Et puis, j’aimais le scénario, le personnage – même si au départ je ne devais pas jouer Nora, mais sa sœur. Pour moi, le support majeur est, et reste, le scénario. J’ai fait des études littéraires [un master de lettres modernes à La Sorbonne après une khâgne au lycée Victor-Hugo], et je peux parler plus facilement de littérature que de cinéma, même si ce dernier est mon élément naturel, familier, puisque j’ai baigné dedans…
Vous avez toujours voulu être actrice ?
Du plus loin que je me souvienne, quand, à l’école, il fallait inscrire sur les fiches ce que l’on souhaitait faire plus tard, j’écrivais « actrice » ou « écrivaine/ illustratrice de livres pour enfants » : j’ai dévoré tout le catalogue de L’Ecole des loisirs.
La première fois que vous jouez, c’est dans un spot de lutte contre le sida réalisé par Benoît Jacquot. Vous aviez 4 ans. Quel rapport entretenez-vous à la caméra ?
J’ai toujours adoré les objectifs, et la caméra est un truc qui me fascine : c’est comme un écran.
Un écran ?
Oui, avec la vie ; et qui permet d’avoir moins peur. Jouer éloigne de soi, c’est superlibérateur, on reprend les paroles écrites par quelqu’un d’autre. Ce qui est fragilisant dans le métier d’acteur, ce ne sont ni le tournage ni la mise à nu, mais tout le reste : l’après, les interviews par exemple (rires). Sans parler de se voir à l’image, un moment qui reste pour moi très douloureux. En tournage, je me sens protégée, j’ai envie que ça ne s’arrête jamais. J’aime refaire les prises, à la fois parce que j’aime quand la caméra tourne et parce que je suis exigeante. J’apprécie les aspects hypertechniques, les amorces, les axes de regard, le travail des nuances pour faire passer une émotion, une pensée…
Quels sont vos projets ?
Je reviens du Cambodge, où j’ai tourné Le Chemin, de Jeanne Labrune, pour lequel j’ai beaucoup relu Duras. A venir, il y a aussi La Papesse Jeanne,de Jean Breschand ; La Belle dormant,d’Adolfo Arrieta dans laquelle je joue la fée Gwendoline alors qu’Ingrid Caven campe la méchante fée. En attendant, je lis. Je viens de terminerMémoire de fille, d’Annie Ernaux ; Titus n’aimait pas Bérénice,de Nathalie Azoulai, et le dernier livre de Marie Darrieussecq,Etre ici est une splendeur, sur la femme et artiste allemande Paula Modersohn-Becker : j’ai aimé l’espèce de souffle qui s’en dégage, cette peintre expressionniste m’a touchée au cœur. Même si les circonstances de leur mort n’ont rien à voir, j’ai repensé à Hélène Berr, cette jeune Française juive morte dans le camp de concentration de Bergen-Belsen, auteure d’un journal [éd. Tallandier, 2008, préface de Patrick Modiano], sur laquelle j’ai travaillé pour mon mémoire. Toutes deux tenaient leur journal, toutes deux sont mortes trop jeunes, au moment même où elles prenaient leur envol.
Bande-annonce de « Tout de suite maintenant »
« Tout de suite maintenant » (1 h 38), de Pascal Bonitzer. Avec Vincent Lacoste, Lambert Wilson, Isabelle Huppert, Jean-Pierre Bacri, Pascal Greggory, Julia Faure. En salles le 22 juin.