La ministre de l’éducation, bête noire des conservateurs en Algérie
Nommée en 2014, Nouria Benghabrit a provoqué la colère en réformant le système éducatif algérien. Plusieurs députés réclament sa démission.
Des dizaines d’arrestations, un fiasco scolaire et un scandale national.L’Algérie vient de connaître l’un des pires cas de triche au baccalauréat de son histoire. Début juin, plusieurs sujets des filières scientifiques, mathématiques et gestion ont fuité avant les épreuves et se sont retrouvés sur Facebook. Résultat : près de 300 000 élèves sur les quelque 800 000 candidats au bac vont devoirrepasser l’examen à partir du 19 juin.
Lire aussi : Algérie : la ministre de l’éducation en difficulté après une triche au bac
L’affaire est sérieuse : le premier ministre Abdelmalek Sellal l’a qualifiée d’« atteinte à la sécurité de l’Etat ». La brigade de cybercriminalité de la gendarmerie a saisi du matériel, des ordinateurs et interpellé plusieurs dizaines de personnes dont des enseignants et des membres de l’Office national des examens et concours. L’enquête se poursuit mais d’ores et déjà, une coupable a été pointée du doigt : Nouria Benghabrit-Remaoun, la ministre de l’éducation nationale. Plusieurs députés ont appelé à sa démission.
Francophone et sociologue reconnue
Mais la ministre tient bon. Comme elle le fait depuis deux ans face aux attaques régulières dont elle est la cible. A 64 ans, cette universitaire réputée est devenue la bête noire des conservateurs de tous poils en Algérie. Son CV, déjà, a de quoi déplaire à certains : femme, francophone et sociologue reconnue, elle a dirigé douze ans le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc).
Nommée à la tête de l’éducation nationale en 2014, après la réélection d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat, elle est, depuis, dans l’œil du cyclone pour avoir dénoncé les lacunes du système éducatif algérien. Une étude réalisée en 2013 par le ministère de l’éducation nationale montrait ainsi que seuls 4 % des enfants inscrits à l’école primaire finissent par décrocher le baccalauréat sans avoir redoublé. Pour remédier à cette faillite, celle que les syndicats surnomment la « dame de fer » s’est opposée à la réforme des programmes, à la formation des enseignants, aux rythmes scolaires. En mars, elle imposait l’obtention d’un concours comme préalable à la titularisation des enseignants contractuels dans la fonction publique. Dernièrement en visite dans le sud du pays, elle y a évoqué, entre autres, la possibilité de modifier le calendrier scolaire pour qu’il soit plus adapté aux chaleurs extrêmes certains mois de l’année.
Insultée sur les réseaux sociaux
Ses initiatives provoquent régulièrement des levées de boucliers. Islamistes et conservateurs ne lui pardonnent pas d’avoir lancé l’idée d’introduire à l’école primaire la darija – l’arabe dialectal utilisé en Algérie –, afin de lutter contre l’échec scolaire. Lors d’une conférence nationale sur l’éducation en août 2015, les participants, dont Nouria Benghabrit, avaient formulé une recommandation en ce sens, se fondant sur l’avis des experts. A l’heure actuelle, un enfant arrive à l’école à l’âge de 6 ans en parlant la darija, alors que l’enseignement des matières se fait en arabe classique. Selon de nombreux spécialistes, ce fossé crée de graves difficultés scolaires. Une partie des élèves finit par utiliser plusieurs langues (français, arabe, berbère), mais sans en maîtriser aucune parfaitement.
L’idée est donc de permettre aux enseignants d’utiliser la langue maternelle des élèves pour faciliter l’apprentissage et s’assurer qu’ils acquièrent les savoirs de base. La recommandation n’a pas été adoptée, mais les conservateurs sont quand même montés au créneau, dénonçant une atteinte à la langue du Coran, l’arabe classique, et accusant la ministre d’attenter aux valeurs du pays.
Entre appels à démissionner et insultes sur les réseaux sociaux, la campagne contre Mme Benghabrit avait été violente. Pour ses détracteurs, le scandale des fuites au baccalauréat qui vient de secouer le pays est une aubaine. Des députés ont à nouveau demandé à ce qu’elle soit démise de ses fonctions. Sans obtenir gain de cause. Le 12 juin, la présidence algérienne a annoncé un remaniement ministériel : de gros portefeuilles, dont l’énergie et les finances, ont changé de titulaires. La ministre de l’éducation est, elle, restée en place.