Taïwan veut en finir avec le culte de Tchang Kaï-chek
Le Parti progressiste démocratique, qui vient d’arriver au pouvoir, pourrait changer la vocation du mémorial dédié à l’ex-dictateur.
Avec ses parois de marbre blanc et son toit octogonal de tuiles bleues, le mémorial de Tchang Kaï-chek, au centre de Taipei, est l’une des attractions favorites des touristes chinois venus du continent. Ils posent pour des selfies devant le bâtiment ou viennent admirer le changement de la garde devant le bronze du « Généralissime » assis sur son trône.
Tchang Kaï-chek, qui avait fui la Chine pour Taïwan en 1949 après la victoire de Mao, a gouverné l’île d’une main de fer jusqu’à sa mort, en 1975. Quarante et un ans plus tard, le culte dont il continue de faire l’objet divise toujours profondément les Taïwanais. Vénéré par les caciques du Kouomintang (KMT), le parti unique sur lequel reposa son règne, l’ancien dictateur est critiqué et même conspué par le camp adverse. Les anciens opposants rappellent les exactions commises par le régime durant la « terreur blanche » qui dura jusqu’en 1987.
La victoire remportée en janvier par Tsai Ing-wen et son Parti progressiste démocratique (le DPP) pourrait changer la vocation du mémorial. Si Taïwan est une démocratie depuis vingt ans, c’est la première fois que l’opposition obtient la majorité au Parlement. Les nouveaux députés ont commencé, le 2 mai, les auditions publiques autour d’un projet de loi sur la justice transitionnelle. Mme Tsai, qui a pris officiellement ses fonctions vendredi 20 mai, devrait consacrer à cet ambitieux chantier législatif les premières grandes décisions de son mandat de présidente.
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Cette loi vise à faciliter l’accès aux dossiers politico-judiciaires de l’époque et à revenir sur certains verdicts injustes. Sous la « terreur blanche », les procès expéditifs étaient courants. Il s’agira aussi de passer au crible le patrimoine du KMT, issu en partie de spoliations perpétrées sous la loi martiale. Dernier objectif : « Faire disparaître les symboles de l’autoritarisme et préserver la mémoire des injustices. »
Un espace « terreur blanche »
Le mémorial de Tchang Kaï-chek est évidemment concerné. Déjà en 2007, le président Chen Shui-bian, du DPP, mais qui gouvernait sans majorité parlementaire, avait tenté de le rebaptiser Hall national de la démocratie, à Taïwan. L’esplanade contiguë était devenue la place de la Liberté. Mais, dès le retour du KMT au pouvoir en 2009, le mémorial reprit son nom originel. Seule la place de la Liberté survécut.
Désormais dans l’opposition, le KMT, qui estime avoir fait amende honorable, tente de résister. Pour contrer les témoignages d’anciennes victimes et de militants d’ONG, il a mandaté des experts et des historiens censés défendre le legs de Tchang Kaï-chek. C’est grâce à ce dernier, a rappelé un historien pro-KMT, que les trésors des collections impériales chinoises, qui avaient été transférées à Taïwan, sont aujourd’hui l’une des principales attractions touristiques du pays. Avec le mémorial, justement.
L’un de ses confrères s’est emporté : si Tchang Kai-chek est responsable de tout, alors « rasez son mémorial ! », a-t-il lancé. Les promoteurs de la loi sur la justice transitionnelle disent rechercher le consensus. Le mémorial pourrait être transformé en « musée de la démocratie » : des espaces y seraient consacrés à la « terreur blanche », au lieu de l’exposition hagiographique actuelle. D’autres souhaitent y créer un « musée des présidents de Taïwan ». Une chose est sûre, quelle que soit la solution choisie, Tchang Kaï-chek en prendra pour son grade.