Nuit debout dans le sable de Camargue
En janvier, un arrêté préfectoral a sonné le glas du dernier camping sauvage d’Europe. Ses habitués organisent la résistance.
C’est une lutte du bout du monde. Une Nuit debout dans le sable, le nez au vent iodé de Camargue. Depuis quelques semaines, les habitués de la plage de Piémanson, à l’extrême sud de l’immense commune d’Arles (Bouches-du-Rhône), près du village de Salin-de-Giraud, se révoltent. Unis pour sauver l’esprit de liberté soufflant sur le dernier tronçon du littoral français où le camping sauvage était encore toléré.
En janvier, le préfet de région a mis fin à cette exception.« Ce qui a pu être toléré (…) ne peut plus l’être, justifie Stéphane Bouillon, car cette situation entraînait de nombreux problèmes en matière de sécurité des personnes et des biens, et de protection de la nature. » La signature du plan de prévention des risques d’inondation (PPRI), conséquence de la catastrophe de La Faute-sur-Mer, en Vendée, lors du passage de la tempête Xynthia, a mis fin à l’indifférence de l’Etat pour cette langue de sable longue de 4,5 kilomètres, à l’embouchure du Rhône, qui connaît des pointes de fréquentation à 10 000 vacanciers et 800 caravanes autour du 15 août.
La fin d’un paradis
Toute présence humaine la nuit à Piémanson est désormais interdite. La plage est fermée aux véhicules. Interdits également les chiens en liberté, les feux de bois et surtout les soirées entre amis, dans des campements plus ou moins improvisés. Piémanson sera ouverte de 6 heures à 22 heures. Et seulement aux piétons. « C’est la fin de notre paradis, quoi… », résume, dépitée, Nathalie Vin, originaire de Fos-sur-Mer, vingt ans d’étés les pieds dans le sable, qui anime la page Facebook Les amoureux de Piémanson.
Lire le reportage (édition abonnés) : « Ici, c’est le bout du monde »
Pour ces habitués, l’enfer a pris corps dimanche 1er mai. Sous un ciel d’apocalypse, nuages noirs et pointes de mistral à 110 km/heure, les gendarmes de la brigade d’Arles les attendaient au bout de la départementale 36D, toujours avec la même question polie : « Connaissez-vous la nouvelle réglementation de la plage ? » Pendant l’hiver, un parking pour 2 000 véhicules a été aménagé et une porte symbolique plantée au milieu de nulle part.
« D’habitude, le 1er mai, c’est l’ouverture. On se retrouve entre amis, chacun cale sa caravane pour l’été, c’est la fête, rage Léo Chardonnens, quarante ans sur place. Aujourd’hui, c’est bouclé, on repart. Je pense à tous ceux qui n’ont pas les moyens de se payer des vacances ailleurs. Cela me rend malade. Qui on gênait ? » Son épouse, Marie-Claude, qui préside l’Association des plaisanciers de Piémanson, bouillonne : « On nous parle de problèmes d’hygiène, mais nous nettoyons à notre arrivée et à notre départ. Qui va enlever les ordures des personnes à la journée ? La mairie, peut-être ? » « Malgré l’austérité des lieux, on a appris à vivre sans eau, sans électricité, avec nos toilettes sèches, souligne Armelle Sourribes, membre du collectif des usagers de la plage de Piémanson. Venir en journée ne nous intéresse pas. Camper, vivre en autarcie et ne faire chier personne : c’est un concept de vie. »
A l’entrée de la plage bouclée, une centaine d’habitués piétinent, frigorifiés. La sono diffuse une version du Color Gitano, de Kendji Girac, où le refrain est remplacé par « Pié-man-son ». La décision de l’Etat a rapproché des associations d’usagers qui, jusqu’alors, se boudaient. Des lettres ont été adressées au président de la République, au premier ministre, à la ministre de l’environnement… « Tous nous renvoient vers le préfet, note Didier Bel, chargé de la communication du collectif. Et le préfet a la main ferme. »
Les révoltés de la plage se sont repliésdans l’église catholique de Salin-de-Giraud, que le curé a accepté d’ouvrir. « Il faut mobiliser avant l’été », s’inquiète Armelle Sourribes. Blocage routier, manifestation devant la sous-préfecture, « descente » à Marseille, occupation pacifique… Les perspectives d’actions sont étudiées une à une. Une demande de recours gracieux va être envoyée au préfet. Accompagnée d’une « convention de retour », sorte de code de bonne conduite et de défense de la plage, élaborée par le collectif et les associations, prêtes à payer une – petite – taxe d’occupation.
« Nous aurions préféré que l’Etat attende 2017 pour réglementer, note Nicolas Juan, adjoint spécial de Salin-de-Giraud auprès du maire d’Arles, Hervé Schiavetti (PCF). Mais maintenant c’est fait. Et la question est : comment aborde-t-on cette petite révolution ? Comment attirer la clientèle journalière au Salin ? » Derrière le comptoir de son Bar des Sports, cheveux courts et Doc Martens vertes aux pieds, Clémence Malpart, 39 ans, doute d’une issue heureuse : « Les campeurs, c’est 60 % de mon chiffre d’affaires annuel, assure-t-elle. Les habitants de Salin ne s’en sont pas encore rendu compte, mais cela va tuer les commerces. »
Les révoltés de Piémanson sur France 3 Languedoc-Roussillon, en juillet 2015
Piemanson, dernier camping sauvage de Camargue, menacé
Yeux vifs, cheveux noirs s’échappant de son bonnet, Tova Darling – un pseudonyme – ne décolère pas : « Ce qui gêne à Piémanson, c’est qu’il n’y a jamais eu de fric. Aujourd’hui, notre société considère la gratuité comme une faiblesse. » Le 1er juillet, lui plantera sa tente à Piémanson. « Quand la loi est injuste, explique-t-il, il faut franchir le cap de la désobéissance civile. » Son slogan est déjà prêt : « Sous la plage, les pavés. »