Les enragés de la petite reine japonaise
« Ici, c’est parfait pour s’entraîner, mais sinon, la vie est un peu triste. » La remarque d’Akira Nakashiki, responsable administratif de l’école de keirin d’Izu, est compréhensible. A une centaine de kilomètres au sud de Tokyo, dans un décor dominé par l’élégant mont Fuji, l’établissement et ses bâtiments blancs vieillissants semblent bien isolés.
Installée dans son écrin de verdure depuis 1968 après avoir été à Chofu, dans la métropole de Tokyo, cette école unique au monde forme dans des conditions strictes, mais idéales, les futurs coureurs de cette discipline particulière du cyclisme sur piste. Née au Japon en 1948, elle est devenue épreuve olympique en 2000 pour les hommes, et en 2012 pour les femmes. « Tout le monde peut se présenter, explique Akira Nakashiki. Il suffit juste d’avoir terminé le lycée et de réussir l’examen d’entrée pour cette formation d’un an. »
Une discipline de fer
En 2015, il y eut 70 garçons admis sur 300 candidats. Depuis quatre ans, les filles sont acceptées. « Ça a changé, car les médias se sont intéressés aux coureuses se préparant aux Jeux olympiques. » Une vingtaine d’entre elles, sur 60 qui le souhaitaient, ont intégré l’établissement en 2015.
Hiroyo Shigemitsu, plus grande et plus puissante que la moyenne japonaise, fait partie de la première génération de filles diplômées de l’école. « Avant je faisais du volley-ball, puis j’ai travaillé un an, mais j’ai eu envie de reprendre un sport. J’ai choisi le keirin. » Une discipline qui attire pour son intensité et son côté spectaculaire, avec ses neuf coureurs lancés parfois à près de 80 km/h sur les pistes de béton pour un sprint de 2 km.
A Izu, la discipline est de fer. Pas de téléphone portable, pas d’Internet, debout à 6 h 30 pour une journée intense avec notamment les cours techniques – chacun doit savoir s’occuper de son vélo – et les exercices comme la redoutée ascension d’une côte à 14 %. « Les étudiants détestent ça », s’amuse Akira Nakashiki. Ici, l’objectif n’est pas les Jeux olympiques, ni les championnats du monde. Même si d’anciens pensionnaires ont pu y briller, comme Koichi Nakano, champion du monde dix ans de suite dans les années 1970-80. Le but premier reste de former les coureurs qui intégreront le circuit professionnel nippon et ses pistes de 333, 400 ou 500 mètres [celles des compétitions internationales font 250 mètres, NDLR]. Mais l’établissement accueille aussi des stars internationales pour des stages. Le Français François Pervis, champion du monde en titre, est de ceux-là. Il a même un casier à son nom orné d’un petit drapeau tricolore dans l’atelier de préparation des vélos.
Une fois diplômés, les coureurs enchaînent les compétitions. Le choix est vaste : le Japon abrite 45 vélodromes, qui organisent chacun environ 70 courses par an. « Un pro gagne en moyenne 15 millions de yens [118 000 euros] sur un an », explique Hisashi Fuji, du Centre japonais du cyclisme. Mais l’objectif est surtout de remporter, comme la star actuelle Kota Asai en 2015, le prestigieux Grand Prix, couru le 30 décembre au Keio Kaku keirinjo de Tokyo, et doté de 100 millions de yens [787 000 euros].
Rétablir une réputation devenue sulfureuse
Au-delà de la formation des athlètes, l’école espère aussi contribuer à redorer le blason du keirin, qui ne jouit pas toujours d’une bonne réputation. D’une part se pose la question du dopage : « Comme ce sport n’est pas lié au circuit international, la JADA [Agence antidopage du Japon] n’a pas vraiment de politique de contrôle », admet Hisashi Fuji – l’école, qui met l’accent sur les vertus de l’effort, affirme sensibiliser ses pensionnaires à ce problème.
D’autre part, beaucoup de Japonais considèrent le keirin non pas comme un sport, mais comme un jeu d’argent : les paris sont institutionnalisés car ils financent la discipline, ce depuis 1948, date de sa professionnalisation dans un Japon d’après-guerre exsangue. Cette activité, encouragée par le gouvernement, devait aussi lever des fonds pour la reconstruction.
A découvriren images : A Izu, un an en circuit fermé
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Au centre d’Izu, la discipline règne : les élèves sont au garde-à-vous pour écouter les consignes de l’entraîneur.
Alexis Armanet pour M Le magazine du Monde
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Aujourd’hui, cette dépendance vis-à-vis des paris se fait sentir. La « manne » fond à mesure que les jeunes s’en désintéressent ; et le nombre de coureurs professionnels baisse (2 545 en 2015, contre 3 300 en 2010). C’est également pour cette raison qu’à Izu on accepte désormais les filles. Akira Nakashiki les met en avant : « Elles rajeunissent et rafraîchissent un peu l’image du keirin. »
Les athlètes du centre de formation d’Izu en images