Une ferme bio dans les quartiers nord de Marseille
Depuis un an, une exploitation agricole a pris ses quartiers au cœur des cités marseillaises. Marie Maurage, une éleveuse venue des Hautes-Alpes, y fait paître des chèvres, des vaches, des cochons… Pour produire du bio et éduquer les plus jeunes.
L’image est totalement insolite dans ces quartiers nord de Marseille (Bouches-du-Rhône) : un cheval de trait et une vache paissent tranquillement dans une prairie au milieu des barres HLM. Plus bas, une étable où une quarantaine de chèvres brunes mangent du fourrage. Devant, un troupeau de brebis sardes aux longs poils entourent des petits nés le matin. La ferme La Tour des pins semble posée, en bordure des cités des Flamants et de la Busserine, tel un décor pas tout à fait réel. Douze hectares en pente douce avec en surplomb une bastide à l’abandon. Une image d’Epinal déroutante au cœur de ce 14e arrondissement plus connu pour sa misère, ses trafics et ses règlements de comptes.
Voilà un an que Marie Maurage, une paysanne venue d’un hameau près de Briançon (Hautes-Alpes), a débarqué avec son troupeau. A 58 ans, elle a quitté la ferme laitière qu’elle tenait depuis vingt ans, lassée de se battre contre des voisins jaloux : « Ce n’est pas facile humainement dans les villages des Hautes-Alpes. Je n’ai pas vraiment trouvé ma place », raconte cette femme menue, aux yeux bleus rieurs. La fermière préfère taire l’incendie criminel qui a détruit son exploitation, comme ses efforts à tout reconstruire sans rien lâcher.
Elle est militante bio, convaincue qu’on peut produire local. Mais l’hostilité a eu raison de sa patience. Alors quand elle a entendu parler de cet appel d’offres de la Ville de Marseille sur une de ses fermes pédagogiques – la municipalité en possède trois, créées en 1980 par Gaston Defferre –, elle a vendu et quitté ses montagnes. « Je m’attendais à un terrain tout rabougri. Quand j’ai vu ces pâturages, ce domaine extraordinaire, je n’en suis pas revenue », explique cette mère de famille.
La ferme étant à l’abandon depuis trois ans, il a fallu tout remettre en état de marche : consolider le bâti, nettoyer les pâturages, refaire les clôtures et reconstituer les troupeaux. Rien qui ne pouvait arrêter cette petite femme énergique et un peu perchée. « Jusqu’alors, c’était plutôt une ferme zoo. Moi, je veux en faire un lieu de production bio et un endroit de transmission pour les gamins des cités », continue Marie.
Avec 150 fromages produits par jour, la vente des yaourts et du lait, la quinquagénaire assure s’en sortir avec l’aide d’un seul salarié. Elle organise aussi des animations pour la mairie quinze heures par semaine. Dans sa doudoune noire, Marie fait le tour des enclos, salue ses bêtes d’un « Alors les filles ? » et ramasse les plastiques venus des tours. Des fusillades qui défraient la chronique dans les cités alentours, elle n’a cure : « Les gens d’ici ne sont pas tous des dealers. Ils sont vraiment gentils », explique-t-elle posément. La preuve, elle ne ferme jamais sa maison.
Rien ne semble faire peur à cette Nordiste – Marie est née dans un village à la frontière belge dans une famille d’ouvriers. Elle s’est lancée dans l’agriculture à 30 ans, elle était alors mère célibataire avec quatre enfants. Ecolo convaincue, elle a gardé de ces années une volonté farouche de ne pas se laisserabattre. Et même si la mairie semble aussi difficile à faire bouger qu’« un éléphant », elle lance ses projets, persuadée que le reste suivra : ateliers festifs autour de la nutrition en lien avec l’hôpital Nord, banquets avec cuisiniers étoilés pour les familles des cités, petits déjeuners bio… Les idées fourmillent. « Le bio, ce n’est pas que pour les bobos. Et se cantonner à Lidl ou Aldi n’est pas une fatalité pour les habitants des quartiers populaires. Je veux leur montrer que cuisiner de saison, ce n’est ni plus sorcier ni plus cher que les nuggets et les chips. »
Des cités pourtant, seuls les scolaires défilent pour l’instant. Certains reviennent avec leurs parents pour leur montrer les chèvres et les poules. Les acheteurs de fromage bio proviennent plutôt des quartiers voisins de Sainte-Marthe, des lotissements de luxe fermés derrière des barrières à code. Mais Marie ne désespère pas. Par cette journée de janvier, un groupe d’adolescents de la Busserine fait le tour des animaux et reste en arrêt devant deux porcs en liberté. « Ils s’appellent comment ? », demande un minot. « Je ne donne jamais de nom aux bêtes que je mange », explique la fermière.