La noblesse belge en délire
Intrigué par l’aristocratie belge qui mêle descendants de l’Ancien Régime et roturiers « promus », le photographe anglais Rip Hopkins a réalisé près d’une centaine de portraits. Il pose un regard facétieux sur une noblesse qui ne se prend pas (toujours) au sérieux.
Princes, ducs, marquis, comtes, vicomtes, barons, chevaliers… La Belgique compterait 25 000 nobles, membres de 1 100 familles. Un tiers d’entre elles sont issues de l’Ancien Régime. Les autres, d’extraction récente, ont été anoblies par les rois qui se sont succédé depuis 1816. Cette année-là, Guillaume Ier des Pays-Bas, qui régnait alors sur le « plat pays », rétablit ce statut singulier aboli en 1790.
Aujourd’hui encore, une vingtaine de Belges sont chaque année affublés d’un titre nobiliaire pour leurs prestations jugées « exceptionnelles ». Une sorte de Légion d’honneur, version monarchique. Cette classe sociale, qui ne représente que 0,25 % de la population, forme un groupe hétérogène, à l’image du pays : descendants de la noblesse française, britannique ou pontificale y côtoient des industriels, des médecins et des philosophes. « Altesses Sérénissimes » aux noms merveilleusement ronflants, coureur cycliste (Eddy Merckx) ou encore chanteuse (Léonie Cooreman, alias Annie Cordy)…
Une “succession aléatoire de rencontres”
« Acharné du portrait », selon la définition que donne de lui sa compagne, la Française Pauline de La Boulaye, le photographe anglais Rip Hopkins est parti à la rencontre de cette étrange confrérie. De ce voyage dans son pays d’adoption — il vit à Bruxelles —, cet artiste, qui a traversé 80 pays en l’espace de vingt ans pour s’intéresser à des groupes marginaux, a rapporté 96 portraits ironiques, tendres, fous ou intrigants, agrémentés de 28 photographies de détails de la vie de ses modèles.
Le titre Belgian Blue Blood, allusion au pouvoir héréditaire qui se transmettait par le sang (dit « bleu »), couvre à la fois un livre tiré en une édition limitée à 999 exemplaires et une exposition qui sera organisée dans le courant de l’année. Ce travail, qui ressuscite le portrait de l’aristocrate, genre disparu, n’est sans doute pas représentatif de la noblesse belge dans son ensemble. Cette « succession aléatoire de rencontres », comme la définit Rip Hopkins, supposait, en tout cas, une confiance dans le photographe, l’acceptation de celui-ci dans l’intimité d’une vie et surtout une grande ouverture d’esprit de la part des « aristos ».
Pour paraître devant l’objectif, certains sujets se sont habillés, d’autres déshabillés. Certains veulent visiblement incarner encore cette sorte d’éternité qu’ils croient liée à leur patronyme, d’autres dynamitent les codes, comme pour refuser de se hisser au-dessus du commun des mortels. Tableaux de famille et animaux de compagnie apparaissent sur de nombreux clichés, évoquant les œuvres de commande du temps jadis.
Détaillant de manière aussi pertinente qu’impertinente cette étrange planète de la noblesse belge, l’historien Olivier de Trazegnies souligne l’intérêt qu’il y avait à « immortaliser les derniers soubresauts » d’un groupe social qui, en s’ouvrant sur le monde, hâte sans doute sa dilution. Quitte à vouloiraffirmer sa singularité par l’humour, la dérision et l’audace qui transparaissent dans beaucoup de ces portraits. « En réalité, tout est question d’image, diagnostique-t-il. La valeur de référence de la noblesse devient l’art d’incarner l’image que renvoie le miroir de l’opinion publique. La noblesse rêve inconsciemment de se montrer à la hauteur de ce que l’on imagine d’elle. »
Ce que l’on aime dans l’aristocratie, c’est qu’elle semble ne pas appartenir au monde réel, souligne encore cet auteur. Celui où, écrit-il, on dirait aujourd’hui d’une belle et de son prince charmant qu’ils « baisèrent comme des Ferrari et gagnèrent un pognon fantastique à Wall Street ». Dans le monde rêvé de l’aristocratie, on continuerait à écrire, comme le faisait Charles Perrault en concluant Cendrillon : « Ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants »… C’est moins navrant, il est vrai.
« Belgian Blue Blood », Filigranes Editions. 240 p. 60 € en prélancement.
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Rip Hopkins/Agence Vu
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