Maître Spinosi, pourfendeur de l’état d’urgence
Avocat de la Ligue des droits de l’homme, il s’est lancé dans un combat sans relâche contre les excès de l’état d’urgence, sur lequel le Conseil constitutionnel s’est prononcé vendredi 19 février.
La porte de son bureau est gardée par une magnifique gazelle, prête à bondir.Le trophée de chasse d’un autre. Les siens, Patrice Spinosi ne les affiche pas.Pourtant, il aurait de quoi en étaler : il a fait condamner la France par la Cour européenne des droits de l’homme une quinzaine de fois ; il a fait aboutir devant le Conseil constitutionnel quelque trente-cinq questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) en seulement cinq ans d’existence de cette procédure ; il est à l’origine de plusieurs dizaines d’arrêts célèbres du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation…
Comme perdu au fond d’un immense canapé en cuir noir dominé par une peinture contemporaine grand format de tête de mort, « pour mieux accepter les échecs, car elle nous rappelle que nous finirons tous comme ça », cet avocat se défend de tout triomphalisme. Aussi à l’aise devant les micros de BFMTV que dans l’exégèse des jurisprudences les plus absconses, il semble s’être lancé dans un combat perdu d’avance contre les excès de l’état d’urgence décrété en France au lendemain des attentats du 13 novembre.
Faire avancer les lois
Les coups de boutoir qu’il a portés dans les prétoires au nom de la Ligue des droits de l’homme (LDH) pour dénoncer les risques que cette législation d’exception ferait peser sur notre démocratie ont été, jusqu’ici, vains. Sur le papier en tout cas. Une première QPC sur les assignations à résidence a été rejetée le 22 décembre par les gardiens de la Constitution. L’action devant le Conseil d’Etat pour enjoindre le chef de l’Etat à suspendre tout ou partie de l’état d’urgence s’est soldée, le 27 janvier, par un arrêt justifiant au contraire la position du gouvernement au nom de la « persistance d’une menace imminente ». Le Conseil constitutionnel a rendu vendredi 19 février sa décision sur les deux dernières QPC que cet « avocat militant » – il assume – a plaidées. Selon lui, le flou des articles de loi autorisant les perquisitions extrajudiciaires et les interdictions de manifester est une menace pour les libertés fondamentales.
« Attaquer en justice une décision de l’administration permet aujourd’hui de faire avancer la loi de façon beaucoup plus radicale et efficace que le lobbying auprès des parlementaires ou de l’exécutif », affirme-t-il. La flamme du combattant ne cesse de briller dans les yeux bleu intense qui rehaussent une taille modeste. Mais question taille, le « fils de » n’a plus rien à prouver.
A 27 ans, il a hérité du cabinet de son père décédé. Or celui-ci faisait partie des rares avocats ayant le privilège de plaider devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Patrice Spinosi avait alors décroché le titre aussi flatteur qu’encombrant de plus jeune avocat de ces juridictions prestigieuses. Ces instances sont les seules habilitées à faire évoluer l’interprétation des lois. C’est ce qui l’excite, « apporter des solutions nouvelles avec le droit ».
Se battre contre les institutions, non pour les détruire, mais pour en améliorer le fonctionnement. Il arrache parfois des décisions historiques, comme celle sur la « jungle » de Calais, pour le compte du Secours catholique et de Médecins du monde. Le 23 novembre, l’Etat a été condamné à rendre plus dignes les conditions de vie des migrants. Un précédent qui pourra être invoqué pour d’autres camps, même illégaux.
Défenseur des faibles, d’Apple et de Nicolas Sarkozy
Il s’est fait un nom en défendant gratuitement pour l’Observatoire international des prisons (OIP), la Cimade, la Quadrature du Net ou encore la Ligue des droits de l’homme, des causes « nobles » comme les libertés publiques, les droits des faibles, des sans-papiers ou des détenus. Des générations d’étudiants en rêvent, avant – nécessité fait loi – de se spécialiser dans le droit fiscal ou du divorce. Lui se paie le luxe d’y consacrer une partie non négligeable de sa force de travail. « Même dans les affaires gagnées où l’Etat est condamné en plus à payer les frais d’avocats, Patrice les reverse à l’association », remarque Nicolas Ferran, chargé du contentieux à l’OIP.
A 43 ans, il peut se le permettre parce que son affaire est prospère. Le cabinet Spinosi-Sureau – il s’est associé depuis deux ans à François Sureau, un autre « bourgeois humaniste » – compte une trentaine de personnes dont vingt avocats. Quand il a repris le cabinet paternel, un seul collaborateur et une secrétaire étaient dans l’escarcelle. La défense des Google, Apple et autres géants de l’automobile fait aujourd’hui bouillir la marmite. Ou même celle, « tout aussi noble », d’un Nicolas Sarkozy dans l’affaire des écoutes de ses conversations avec son avocat. « Le combat du droit n’est ni de droite ni de gauche. »
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