Jean-Pierre Masseret : « Je suis le petit caillou qu’il faut écraser »
L’ancien président du conseil régional de Lorraine, qui a maintenu sa liste au second tour des régionales, estime qu’il a « montré qu’une autre voie était possible » face au FN.
« Le Front national est battu et la gauche sera représentée. Que demande le peuple ? » Jean-Pierre Masseret a « fait le job », il a l’air content de lui et du mauvais tour qu’il vient de jouer à Matignon et au Parti socialiste.
Satisfait, le président sortant du conseil régional de Lorraine et chef de file de la liste socialiste aux élections régionales l’est d’autant plus qu’il revient de loin. Après s’être maintenu contre l’avis du parti, il a conservé ses positions (15,51 % au second tour, 16,11 % au premier) et le candidat de la droite Philippe Richert, pour lequel il avait refusé de se désister, a emporté haut la main la présidence du conseil régional de l’Alsace-Champagne- Ardenne-Lorraine. « Si le FN avait eu le malheur de l’emporter, j’aurais été l’homme à abattre, le bouc émissaire à jeter aux chiens », soupire-t-il, quelques jours avant la première séance plénière de la nouvelle assemblée, le 4 janvier.
« Je n’ose imaginer si Florian Philippot avait été élu. On nous aurait fusillés avec des balles rouillées pour être bien sûr qu’elles nous refilent le tétanos », renchérit son colistier et ami Edouard Martin, ancienne figure syndicale d’ArcelorMittal, aujourd’hui député européen. « Je pense les avoir niqués », l’avait-on entendu jubiler au soir du 13 décembre, dans un aparté viril avec une journaliste saisi par « Le Petit Journal » (voir ci-dessous).
On le retrouve trois semaines plus tard, requinqué, dans son bureau déjà vide de l’abbaye Saint-Clément, siège messin de l’ex-région Lorraine. En des termes plus policés, le sénateur Masseret se félicite d’avoir pu « démontrer aux politiques, aux médias, au Grand Orient, à tous les bien-pensants que (sa) stratégie était la bonne », que « c’est en combattant et non par l’évitement que l’on fait barrage au FN ».
Mais quelle mouche a bien pu piquercet apparatchik de 71 ans au physique d’éternel jeune homme pour braver ainsi les ordres de cet appareil, le PS, qu’il a si longtemps servi, et qui lui
a si souvent servi pour accéder, en quarante ans de carrière, à tous les postes qu’offre la République (sénateur, maire, secrétaire d’Etat, président de région…) ?
Sa motivation serait, d’abord, politique. « Je vois la difficulté qu’ont beaucoup de gens à envisager leur avenir au-delà du 20 du mois, je mesure la haine qu’ils nourrissent à l’égard des élus. C’est vachement violent. Ils attendent des solutions qu’on ne leur apporte pas et ce sentiment d’abandon nourrit le FN. »Abandonner« tous ces gens » en rase campagne ? « Je ne pouvais m’y résoudre, c’était plus fort que moi. Dans tous mes meetings, je m’étais engagé à aller jusqu’au bout, tous les mecs de la liste étaient d’accord. »
Depuis quelque temps, ses amis l’entendaient dire que « le PS est mort », une idée qui l’a conforté dans sa démarche. « Alors que la droite se déchire, Jean-Christophe Cambadélis (patron du PS) cherche à créer une nouvelle alliance composée de socialistes, de dissidents communistes, d’écolos et de figures de la société civile pour assurer une majorité à François Hollande. Valls, lui, tente une ouverture vers le centre droit. Centrale, la question du front républicain va se poser à nouveau. J’ai montré qu’une autre voie était possible. Alors forcément, je gêne. Je suis le petit caillou qu’il faut écraser. »
Lui qui croyait être revenu de tout s’est dit « choqué » par les pressions qu’il a subies entre les deux tours : menaces sur ses colistiers, chantage aux postes, désinformation, insultes (« Malek Boutih m’a traité de collabo »), « torrent de boue » sur les réseaux sociaux… « L’opinion que je me fais des hommes politiques n’a pas grandi durant cette séquence. J’ai vu ce qu’était le vrai pouvoir. Je me suis dit : au fond, tu es un pion qui doit obéir. C’est un méchant constat, assez désespérant. »
Il y aurait donc une part de désenchantement dans la démarche de Jean-Pierre Masseret, mais aussi une forme de résilience. « Il sait que sa carrière est derrière lui et en même temps, je l’ai toujours entendu dire qu’il mourrait s’il devait arrêter la politique », confie un proche. S’abandonner au vertige du sacrifice pour mieux refaire surface. Pulsion de mort, pulsion de vie… Il sourit : « Je n’étais pas allé aussi loin dans l’analyse. »« Jean-Pierre aime surtout la castagne », explique, plus prosaïque, un autre fidèle.
Des centaines de SMS de soutien
Ancien marathonien, cet adepte des douches écossaises connaît la solitude du coureur de fond. « Elle offre un moment de reconstitution. » Il appartient à cette catégorie de politiques qui se laisse griser par la conquête du pouvoir, mais qui s’ennuie assez vite une fois aux affaires. Au fond, toute cette agitation lui a peut-être offert la dose d’adrénaline dont il a besoin pour conjurer sa peur du vide.
« Bien sûr », le doute et l’angoisse d’avoir à endosser la responsabilité d’une victoire frontiste l’ont saisi entre les deux tours. « Jusqu’au mardi, j’ai ressenti ça très fort. » Il a vu le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, avec lequel il a fait toutes les guerres, « participer aux pressions ». Il a accusé le coup en apprenant par l’AFP que le PS lui retirait son investiture. « Et puis, j’ai vu des gens venir vers moi et me remercier. J’ai reçu des centaines de SMS gentils. Je me suis dit : continue, vas-y, c’est bien ! »
Une nouvelle bataille commencepour la présidence du groupe socialiste à la région, qu’il revendiquera lundi 4 janvier. Il feint de ne pas en vouloir à ses colistiers qui, entre les deux tours, l’ont lâché en appelant à voter Richert. Ils étaient 71 à vouloir se retirer, il en aurait fallu 95 pour empêcher la liste de se maintenir. Ils sont aujourd’hui une petite dizaine, sur 19 sortants, à avoir été élus contre leur gré. Il les a surnommés les « malgré nous ». Deux ont démissionné ; les autres se revendiquent du « j’y suis, j’y reste » tout en contestant sa légitimité.
« Ils ont été élus avec des voix dont ils voulaient priver les électeurs, mais je ne les juge pas, ce n’est pas facile de résister à l’appareil », grince Masseret. « Bien sûr, s’ils le souhaitent », il les accueillera dans son groupe.
Vidéo. Quand Jean-Pierre Masseret se lâche sur le PS : « Je pense les avoir niqués » (« Petit Journal » du 14 décembre 2015, à écouter à partir de 6’35’’)