Tabboo !, figure libre du New York des années 1980
Le plasticien américain Stephen Tashjian devient, dans les années 1980, le drag-queen Tabboo !, figure de la nuit du milieu underground. Il rencontre le jeune Marc Jacobs, qui, trente ans plus tard, lui confie la création de motifs pour sa dernière collection.
Un mystère plane sur les années 1980 à New York.A force de livres, de rétrospectives, de films et d’expositions, on pourrait penser tout connaître de la folie de cette époque, maîtriser les anecdotes et les biographies de chacun. Et pourtant surgit parfois une figure qui était au cœur de cette mouvance, mais dont la notoriété est restée cantonnée à l’underground. C’est le cas de Stephen Tashjian. Auteur de photographies, de peintures, de portraits et de collages, il était aussi une personnalité de la ville. Son aura locale, cet artiste la doit d’abord à Tabboo !, son identité de drag-queen.
Une autre vie que la sienne
Né en 1959 dans une petite ville du Massachusetts, il rêvait d’une « autre vie que celle, bien rangée, de la Nouvelle-Angleterre», se souvient-il au téléphone depuis son studio du quartier new-yorkais d’Alphabet City. Enfant, il est marionnettiste et remporte un petit succès dans les bars de la région avec son théâtre itinérant et ses poupées de papier mâché. Il part étudier à Boston où il se fait des copains peu communs : les futures stars de l’art Nan Goldin et Jack Pierson. Il débarque ensuite à New York, s’installe dans l’East Village, dans le vacarme des punks, des voyous, des dealers, des clochards et des artistes. C’est alors qu’il devient Tabboo !, figure de la nuit.
Au début des années 1980, la jet-set s’encanaille encore au Studio 54, mais une faune toujours plus délurée accourt au Pyramid Club, dans l’East Village. Tabboo ! est sur la scène, sur la piste de danse… et à la porte, où il fait office de physionomiste. Un jeune homme, étudiant en mode à la Parsons School of Design, est de cette bande-là : Marc Jacobs.
Le garçon malingre aux cheveux longs devenu un (très musclé et très célèbre) créateur de mode n’a jamais oublié ses premières années fêtardes et underground. Par e-mail, il confie : « Le monde de la nuit n’était pas discriminant, c’était une performance permanente. Les années 1980 continuent de nous inspirer aujourd’hui parce que tout s’expérimentait alors. L’art, la musique, la mode, tout venait de la rue. »
Stephen Tashjian est toujours artiste – « Bien sûr ! C’est comme si on demandait à quelqu’un : “Vous êtes toujours gaucher ?” » –, toujours drag-queen, même si ses sorties apprêtées sont plus rares et qu’il s’amuse gentiment de la célébrité de celui dont il était le modèle, RuPaul, véritable star de la télévision américaine.
Suivant
Stephen Tashjian, plasticien et figure de la nuit sou le nom de Tabboo ! dans le New York des années 1980, ressort ses cartons pour « M ». Ici, « J. Foley » , photo extraite du film « Beauty & the Beast », 1984.
Stephen Tashjian
› Accéder au portfolio
Récemment, Jacobs a invité Tabboo ! à dessiner des motifs pour sa collection automne-hiver 2016-2017. Le résultat est un ensemble de souris, de corbeaux ou de chats, reproduits sur des accessoires ou des tenues. « C’était génial ! Marc m’a dit : “Fais ce que tu veux, tu es libre.” C’est amusant de jouer avec les règles de quelqu’un d’autre. Et puis, travailler dans la mode, waouh ! C’était la première fois, mais en un sens, j’étais prêt. Je n’aurai pas passé toutes ces heures devant mon miroir à imiter des mannequins, Twiggy ou Peggy Moffitt, pour rien. »
Tout le charme du travail de Tabboo ! tient à sa délicatesse et à son humour. Il peint les couchers de soleil sur New York, fait des caricatures et réalise des portraits. « Uniquement des gens que j’aime. Je serais incapable de peindre quelqu’un que je n’aime pas. A une époque, tous mes amis sont morts, du sida ou d’overdose. » Et il ajoute, avec une fausse légèreté : « Je me suis trouvé d’autres amis, et je les ai peints. Je n’allais pas m’arrêter comme ça ! Et, même si la ville a tellement changé, New York est toujours ce lieu empli d’individus qui ne veulent pas être comme tout le monde, qui sont beaux parce qu’ils sont différents. » Il le prouve en images.
Lire aussi Marc Jacobs : « Mettre en scène les défilés me rend heureux »