La tombe du soldat Khan, lieu de pèlerinage au cimetière d’Arlington

Par solidarité avec la communauté musulmane stigmatisée par Donald Trump, les visiteurs affluent sur la sépulture d’Humayun Khan, tombé en Irak.

A perte de vue, les stèles blanches forment des lignes et des diagonales parfaites, seulement rompues de loin en loin par un arbre centenaire. Pour trouver la tombe du soldat Humayun Khan, il faut s’écarter des sentiers balisés que suivent en masse les milliers de visiteurs du cimetière militaire d’Arlington (Virginie). Surplombant la ville de Washington, la flamme qui honore la tombe de John F. Kennedy constitue bien souvent le point d’orgue de leur pèlerinage.

Mais depuis quelques semaines, la section 60, réservée aux soldats tombés en Irak et en Afghanistan, n’attire plus ­seulement les familles de militaires, jeunes et moins jeunes, qui ont perdu la vie ces quinze dernières années. A l’entrée du cimetière, plan du site en main, les gardiens ont dû mémoriser l’emplacement 7986 et dessinent désormais d’un trait sûr le chemin qui mène à la stèle de marbre marquée du croissant et de l’étoile, emblèmes de l’islam.

Un geste politique

La tombe d’Humayun Saqib Muazzam Khan, né en 1976 aux ­Emirats arabes unis, mort en 2004 dans une opération en Irak, est devenue un lieu de passage et de recueillement depuis que son père, Khizr Khan, invité à s’exprimer lors de la convention démocrate de Philadelphie, en juillet, a tonné contre les ­propositions de Donald Trump visant à interdire l’entrée sur le territoire américain à tout musulman venant d’un pays touché par le terrorisme.

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La famille Khan est arrivée du Pakistan à la fin des années 1970. « Tous les jours, quelqu’un nous demande où se trouve la tombe du soldat Khan, confirme une gardienne du cimetière. Les gens veulent lui rendre hommage. » Pour ceux qui font le détour, le geste est politique : apporter un soutien à la communauté musulmane, stigmatisée par le candidat républicain à l’élection présidentielle. Et marquer, au passage, leur désaccord avec le « manque de respect » porté par Donald Trump aux minorités, ainsi que l’avait dénoncé Khizr Khan.

Ce jour de septembre, une carte postale figurant le drapeau américain et une lettre scellée destinée à la famille Khan ont été déposées, dans l’herbe, au pied de la tombe. Au dos de la carte, une jeune fille de l’Ohio assure aux parents de Humayun être« désolée » de la mort de leur fils et les remercie pour leur « sacrifice ». Des témoignages de ce type, les Khan en ont reçu des milliers ces dernières semaines. Les gardiens du cimetière collectent régulièrement les messages ou les objets déposés là et les remettent aux parents du soldat, qui habitent à deux heures de route de Washington.

Au nom de la Constitution américaine

Car l’intervention de ­Khizr Khan père reste gravé dans les esprits. Se présentant comme un « patriote musulman américain », il avait directement ­interpellé Donald Trump. « Vous n’avez rien sacrifié, vous n’avez perdu personne », lui avait-il lancé, avant de brandir un exemplaire de la Constitution américaine en lui conseillant d’y chercher les mots « liberté » et « égale protection devant la justice ».

Intervention de ­Khizr Khan le 28 juillet 2016 à Philadelphie lors de la Convention démocrate :

Piqué au vif, Donald Trump avait réagi, en assurant, de manière quelque peu déplacée, que lui aussi avait fait « beaucoup de sacrifices » et créé « des milliers d’emplois » en travaillant « dur, très dur ». Surtout, il avait suggéré que la mère d’Humayun Khan, Ghazala, venue avec son mari sur la scène de Philadelphie, les cheveux couverts d’un voile souple, semblait n’avoir « rien à dire et n’avait probablement pas le droit de dire quoi que ce soit ».

Contre les préjugés sur l’islam

Ces remarques, immédiatement perçues comme une allusion aux préjugés sur la place de la femme dans l’islam, avaient à leur tour choqué. Ghazala Khan avait alors justifié son silence en expliquant qu’elle n’aurait pu parler publiquement de la mort de son fils sans s’effondrer.

Quatre jeunes Américains, croisés en cet après-midi de ­septembre dans la section 60, ont « entendu parler de toute cette histoire à la télé ». Venus se recueillir sur la tombe d’un de leurs proches, également mort en Irak, ils font, comme beaucoup d’autres avant eux, une halte silencieuse devant la stèle du soldat Khan.

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