Rendez-vous au café pour une « cryptoparty »

Organisées par des bénévoles, ces réunions ont pour but d’apprendre à tous les bases de la protection des informations stockées sur nos ordinateurs et smartphones. Reportage à Paris.

Les « cryptoparties » sont nées en 2012 à l'initiative d'une journaliste australienne. Depuis, elles se sont multipliées dans le monde entier.

« Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour vousprotéger ? », interroge d’emblée l’animateur, Herdir, parmi l’assemblée d’une vingtaine de personnes, ordinateur en cours de démarrage sur les genoux. Assez vite, le trentenaire entre dans le vif du sujet et enchaîne des « mots sésames » tels que serveur, cookies ou proxy… Bienvenue dans une « cryptoparty ».

Ce soir-là, la réunion a lieu dans un bar du 9e arrondissement de Paris. Après une heure d’échanges, beaucoup de participants repartiront avec la certitude que l’on a « tous quelque chose à cacher sur Internet, ne serait-ce que sa vie privée », comme l’indique sur son site Café vie privée, qui organise ces soirées.

Un public de “non geeks”

Caroline Lebizay, décoratrice d’une quarantaine d’années, découvre, effarée, qu’en cliquant sur « j’aime » de la page Facebook d’une marque ou d’une entreprise, celles-ci ont aussitôt accès à toutes les données de notre profil. Premier silence dans la salle. « Chacun a sa place dans une cryptoparty, explique Herdir, un pseudonyme utilisé par ce responsable informatique afin d’isoler sa vie professionnelle de ces soirées. Il n’y a pas d’un côté les “sachants” et les “apprenants”, mais plutôt l’envie de mieux faireconnaître la surveillance dont les gens font l’objet sans même s’en douter. » Et le désir d’apprendre à s’en protéger. Le public n’a pas un profil de geeks, à l’exception de deux ados venus avec leur père. La plupart sont là grâce au bouche-à-oreille.

Les cryptoparties sont nées en 2012 à l’initiative d’Asher Wolf. Cette journaliste australienne, néophyte en informatique, était très préoccupée par le vote dans son pays d’un nouvel amendement sur la cybercriminalité. Son idée va vite se répandre : des soirées s’improvisent aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne. A Paris, elles sont de plus en plus fréquentes, ravivées par l’actualité, qu’il s’agisse du vote de la loi française sur le renseignement ou du bras de fer entre Apple et le FBI.

A l’initiative de la soirée dans le 9e, Stéphanie Giraud, fondatrice de l’agence musicale Bonus Track, confirme : « J’avais assisté par curiosité à une première cryptoparty en novembre et cela m’a convaincue de sensibiliser les gens autour de moi. » Longtemps taxés de paranoïa, Herdir et ses « amis » ont vu leur discours reconsidéré à la suite des révélations du lanceur d’alerte américain Edward Snowden. « Nous ne sommes pas des hackeurs, mais un mouvement citoyen constitué de bénévoles. Nos soirées sont gratuites », insiste Herdir, le logo du Datalove tatoué sur la peau.

Ce symbole renvoie aux principes fondateurs de l’Internet libertaire : « Les données ne peuvent être possédées. Aucun homme, machine ou système ne doit interrompre le flux d’informations. » Le mouvement critique les G.A.F.A.M. (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), venus mettre à mal cet idéal en tentant de s’approprier le Net. Il n’est d’ailleurs pas sans ironie de voir aujourd’hui Apple se montrer si sourcilleux sur l’accès aux données de ses clients.

Au bout d’une heure d’évangélisation, la plupart des participants ont davantage pris des notes que « nettoyé » leur ordinateur. Sur leurs carnets, on retrouve les premiers gestes de la cryptographie : changer régulièrement son mot de passe, préférer des phrases à des dates de naissance facilement identifiables, vider son historique de navigation, occulter sa Webcam avec du scotch quand on ne s’en sert pas ou encore préférer les navigateurs Firefox ou Tor, plus libres et anonymes. Combien s’y mettront réellement une fois rentrés chez eux ?