Les vins de Crimée empruntent la valise diplomatique

Interdits en France depuis l’embargo européen de juin 2014, vingt-cinq vins de Crimée ont été goûtés le 15 décembre à la résidence de l’ambassadeur de Russie, à Paris, lors d’une soirée de dégustation.

Le président russe Vladimir Poutine dans une cave du domaine de Massandra, en Crimée, le 11 septembre 2015.

Pour parvenir jusqu’aux tables de l’ambassade parisienne de Russie, vingt-cinq cuvées venues de Crimée pour être servies à des invités triés sur le volet ont dû voyager par valise diplomatique. Depuis dix-huit mois, les vins de cette région sont interdits en France. A la suite du rattachement de la Crimée à la Russie, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne a interdit l’importation de marchandises originaires de la région à compter du 25 juin 2014.

La Crimée produit des vins depuis plus de trois mille ans, avec une formidable explosion sous le règne du tsar Nicolas II, amoureux de beaux flacons. Aujourd’hui, les vignobles sont regroupés dans la région de Massandra, près de Yalta, à l’extrême sud, un bord de mer où le climat, très méditerranéen, favorise la production de vins sucrés, souvent mutés. Il s’en vendait quelques centaines de bouteilles en France chaque année, à des amateurs avertis.

La dégustation chez l’ambassadeur russe était organisée par Michel-Jack Chasseuil, un grand collectionneur de vins anciens. Retraité des industries Dassault, il possède entre autres un millier de vins de Crimée, achetés patiemment depuis 1997. « Jusqu’à l’an dernier, j’y allais au moins deux fois par an. On me connaît bien à la cave de Massandra. J’y achetais régulièrement des bouteilles de la réserve personnelle du tsar. La dernière date d’ailleurs de 1894. Mais cette année, tout a changé. »

Il a d’abord fallu obtenir un visa « et ce n’était pas simple ». Une fois sur place, il prépare ses emplettes, mais surprise : « Les cartes de crédit françaises sont bloquées là-bas ! Impossible d’acheter la moindre bouteille. » De toute façon, il lui aurait été interdit de les rapporter en France. Pour autant, Michel-Jack Chasseuil n’a pas renoncé. « Pour moi, ce sont les plus grands liquoreux du monde, je me donne comme mission de les faireconnaître en France. »

Le gratin des dégustateurs

Il fait part de son désappointement au ministre de l’agriculture de Crimée, qui fait envoyer gracieusement des caisses au siège du ministère moscovite, qui l’achemine à son tour vers l’ambassade à Paris, contre la promesse d’une soirée réunissant le gratin des dégustateurs.

Comme les vins ne peuvent pas sortir de l’ambassade, ce sont les invités qui viennent. Parmi la petite centaine de convives réunis ce soir-là, le meilleur sommelier du monde Olivier Poussier, les producteurs Loïc Pasquet (Liber Pater) et Gérard Chave, le sénateur Jean Bizet ou encore Laurent Dassault. Au menu, vingt vins des caves de Massandra et cinq cuvées de la vallée du Soleil – les œnologues invités sont, eux, restés bloqués en Crimée faute de passeport valide.

Si les amateurs se sont extasiés sur la qualité des vins, la dégustation n’a pas réjoui tout le monde : les mouvements de soutien à l’Ukraine ont dénoncé sur les réseaux sociaux cette soirée « à base de vins volés ». En septembre dernier, le parquet ukrainien a ouvert une enquête judiciaire pour « appropriation de biens publics » après la dégustation par Vladimir Poutine et l’ex-premier ministre italien Silvio Berlusconi d’un xérès datant de 1775 lors de leur visite dans la péninsule de Crimée, une des cinq bouteilles du cœur de la collection de Massandra. Trois jours après la soirée à l’ambassade, l’Union européenne a voté la prolongation des sanctions économiques pour six mois supplémentaires.