L’hymne espagnol cherche ses mots

L’absence de paroles de l’hymne espagnol se fait ressentir surtout pendant les événements sportifs.

Eau et terre bordent mes frontières sous un ciel bleu que je veux partager… » Guillermo Delgado, simple citoyen espagnol de Valladolid, y a mis du sien pour résoudre le grand drame de l’hymne espagnol : son absence de paroles. Le 20 septembre, il a déposé à la commission des pétitions, au Congrès des députés, une proposition de texte, baptisée « Por la Libertad » (« pour la liberté »), qui ne lésine pas sur la guimauve. Pour ne pas heurter la sensibilité des nationalistes catalans et basques, il a soigneusement évité les termes « patrie » ou « nation ». Et pour s’assurer une large diffusion, il a décliné son titre façon flamenco, et a réalisé un clip, sans oublier d’éditer un livre – avec une version en braille – qui explique chaque paragraphe. Objectif, éviter le même sort que ses nombreux prédécesseurs : la poubelle.

Il y a quelques années, une ministre de la culture espagnole, Carmen Calvo, avoua qu’elle recevait une proposition de paroles pour l’hymne national tous les trois jours… C’est dire l’intérêt que suscite la question. La Marcha Real (« marche royale »), ou Marcha Granadera (« marche des grenadiers »), composée au XVIIIe siècle, n’a jamais eu de paroles officielles. Sous la dictature de Franco, elle était bien accompagnée d’un texte de José María Pemán, déjà en usage sous l’ex-dictateur Miguel Primo de Rivera.

Le nationalisme espagnol associé au franquisme

Mais à la mort de Franco, si l’hymne fut conservé, il fut privé de paroles, faute d’en trouver de consensuelles. Dans l’imaginaire collectif, le nationalisme espagnol est alors intimement associé au franquisme, l’unité et la réconciliation du pays ne sont encore que des vœux pieux, les séquelles de la guerre civile sont encore vives et les indépendantistes basques ou catalans peu enclins à exalter la grandeur de l’Espagne…

Régulièrement, le sujet revient sur la table. L’absence de paroles se fait particulièrement ressentir pendant les événements sportifs. En 2007, le Comité olympique espagnol convoque un concours présidé par un jury de musiciens et d’historiens. Mais le texte vainqueur, Viva España, est aussitôt retiré. Ses auteurs avaient pourtant pris soin de définir la « patrie » comme un ensemble de « peuples en liberté ». Pas de quoi convaincre les nationalistes basques et catalans.

En 2012, le parti antinationaliste catalan Ciudadanos, désireux de redorer un hymne de plus en plus souvent sifflé par les indépendantistes, avait fait une nouvelle tentative. Il avait sorti des cartons une autre proposition de 2007, celle du prestigieux auteur, compositeur et interprète Joaquín Sabina. En vain. Malgré les nombreuses plaisanteries et parodies suscitées par sa version, Guillermo Delgado, lui, qui se dit amoureux de son pays, est bien décidé à se battre pour gagner l’oreille des députés.

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Vidéo : le clip « Por tu libertad » de Guillermo Delgado