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  • admin9596 4:24 am le October 31, 2016 Permaliens  

    Rencontre avec Anne Rice, la créatrice de Lestat le vampire 

    Elle apparaît soudain,comme une ombre, une couronne de cheveux gris entourant un visage de poupée, tendant une main fine, presque diaphane. Anne Rice, l’auteure aux 100 millions d’exemplaires vendus (notamment ceux de la saga « Chroniques des vampires »), vit dans une immense pièce, au deuxième étage de sa villa de Palm Springs, où trônent une télévision et, sur des étagères, de petites maisons miniatures et des statues de séraphins rapportées du Brésil. Partout sur les murs, les tableaux naïfs et colorés de son mari, Stan Rice, mort en 2002. Dans le jardin, des fleurs dont elle surveille la pousse avec attention et une piscine où elle ne plonge jamais. Le 4 octobre, elle fêtait ses 75 ans avec quelques amis et son fils Christopher, lui-même écrivain célébré, animateur d’un show sur Internet et homosexuel militant.

    Cette maison sanctuaire surchargée de bibelots, elle l’a achetée pour se rapprocher de Christopher, avec qui elle termine un livre écrit à quatre mains. Mais aussi parce que sa santé (un zona et une paralysie faciale en début d’année) exigeait du soleil, ce même soleil fatal à ses héros vampiresques. Tous les jours, elle reçoit l’aide de Becket, un moine bénédictin défroqué qu’elle a rencontré à La Nouvelle-Orléans, devenu depuis son assistant personnel. Elle ne bouge plus beaucoup de cette riche et un peu triste banlieue de Palm Springs, en plein désert californien, où elle s’est installée en 2004. Elle a même mis de côté sa tardive passion pour les voyages(« la seule chose pour laquelle j’ai été contente de gagner de l’argent ») parce que aujourd’hui, à son âge, continuer de voyager, ce serait voler du temps à Lestat.

    Le vampire le plus célèbre du monde

    Lestat de Lioncourt. Après Dracula, et avant Edward Cullen, le héros de « Twilight », le vampire le plus célèbre du monde. Au départ, il n’est qu’un personnage secondaire dans le premier livre qu’elle consacre aux buveurs de sang : Entretien avec un vampire,paru en 1976, traduit en français en 1978, et adapté à l’écran par Neil Jordan en 1994, avec Tom Cruise, Brad Pitt et Kirsten Dunst. Avec le deuxième ouvrage, Lestat le vampire (1985), il devient son héros fétiche. Sombre, amoral, diabolique, déchiré entre son présent de vampire et son passé d’humain, entre le mal qu’il prend plaisir à faire et le bien qui vibre encore en lui, entre sa toute-puissance et l’amour qui le fragilise. « Je croyais en avoir fini avec lui. Mais il m’est revenu, avec de nouvelles idées. Lestat est pour moi plus vivant que bien des gens. »Prince Lestat, publié le 13 octobre en France (il était sorti aux États-Unis en 2014), lui redonne vie après onze ans d’absence. Un autre ouvrage, Prince Lestat and the Realms of Atlantis, sortira le 29 novembre aux Etats-Unis.

    Ce vampire, elle l’a rêvé et créé envoûtant, séduisant, charnel, séducteur bisexuel, tourmenté… à l’origine de cette passion pour l’hémoglobine, la vision d’un film obscur, La Fille de Dracula (de Lambert Hillyer, 1936), où la scène de séduction d’une jeune femme par un vampire l’avait profondément troublée. « C’était magique, incroyable. Il y avait tout là-dedans : le désir, le refus, la peur de s’accepter… Plus tard, je me suis demandé ce que ce vampire pouvait avoir à dire sur la vie et la mort. » Lestat révolutionne l’image du buveur de sang, il lui donne de nouveaux galons dans la pop culture. Finies la canine irresponsable, la morsure animale, la créature terrifiante : « Pour moi, ce ne pouvait être que délicieux et érotique d’endosser la personnalité d’un autre et de le transformer. » Sans Lestat, il n’y aurait eu ni « Twilight » ni « True Blood », héritiers qu’elle avoue apprécier…

    Dissimule-t-elle derrière son extrême courtoisie, les sandwichs au concombre et les petits gâteaux servis dans une argenterie étincelante les troubles dont elle irrigue ses héros ? La voix, douce, parfois s’enflamme… Le besoin d’écrire est né à l’ombre du pire drame de sa vie. En 1972, son mari Stan et elle perdent leur petite fille, emportée par une leucémie. Elle ne sortira du désespoir qu’en se lançant dans l’écriture d’Entretien avec un vampire.« Bien sûr, il y a là un lien très profond. Mais je n’en étais absolument pas consciente. Quand on m’en parlait, je protestais. Il m’a fallu des années pour l’admettre. »

    « J’écris sur ce sentiment d’être un étranger, parce que je ne me sens appartenir à rien, même pas à un genre. Je suis davantage une entité qui parle qu’une femme. Et les vampires aussi sont des outsiders. » Anne Rice

    Anne Rice est née en 1941 dans une terre de vaudou et de magie, cette Nouvelle-Orléans dont elle a superbement dépeint la touffeur. « Quand j’en suis partie, je me suis sentie comme un poisson hors de l’eau. » Baptisée d’un prénom d’homme, Howard Allen, qu’elle gardera jusqu’à son entrée à l’école, elle grandit dans une famille catholique. Adulte, elle passe par une longue période d’athéisme, puis par un retour à la foi avant de se dire aujourd’hui « catholique indépendante ». « Je cherche au-delà de l’église la réalité du message de Jésus. Mais sait-on même s’il a vraiment existé ? »

    Comme ses héros, elle ressent ce malaise, cette sensation d’être à côté du monde que le succès, les millions d’exemplaires vendus et les traductions à la pelle n’ont jamais abolis. « J’écris sur ce sentiment d’être un étranger, parce que je ne me sens appartenir à rien, même pas à un genre. Je suis davantage une entité qui parle qu’une femme. Et les vampires aussi sont des outsiders. » La bisexualité de ses héros pourrait étonner chez un écrivain croyant. « Aimer vraiment quelqu’un n’a rien à voir avec le genre : ça arrive… »

    L’auteure américaine Anne Rice, chez elle en Californie, en 2012.

    Son écriture, complexe et flamboyante, tissera à ses vampires une quinzaine de livres-linceuls, qu’elle parsème de références et de longues digressions philosophiques sur Dieu, la création, le Bien et le Mal, l’impossible rédemption… Elle a renouvelé d’autres mythes fantastiques : les sorcières avec Le Lien maléfique, les loups-garous avec Le Don du loup, les anges avec la série « Les Chansons du séraphin ». Elle a fait de la Belle au bois dormant l’héroïne d’une trilogie érotique, et revisité Jésus dans Christ The Lord. Au lieu de Bram Stoker (l’auteur de Dracula) ou de Joseph Sheridan Le Fanu (celui de Carmilla), découverts tardivement, elle cite comme indépassable modèle le Flaubert de Madame Bovary. Madame Bovary, c’était lui ? « Lestat, c’est moi », lance-t-elle dans un sourire à l’ironie mordante.

    « Prince Lestat », d’Anne Rice, éd. Michel Lafon, 528 p., 22 €.

     
  • admin9596 2:09 pm le October 28, 2016 Permaliens  

    Touristes étrangers, prière de ne pas déranger les Japonais 

    Avec près de 20 millions de visiteurs en 2015, l’archipel est en plein essor touristique. Ce qui n’est pas du goût de tous ses habitants. Et ils le font savoir, paroles et actes à l’appui. Exemple : les « attentats » au wasabi.

    Le Monde | 21.10.2016 à 14h06 • Mis à jour le23.10.2016 à 07h37 |Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

    « Il y a beaucoup d’étrangers dans le train. Nous nous excusons pour le dérangement occasionné. » Cette annonce, diffusée le 10 octobre par le conducteur d’un train à destination de l’aéroport international du Kansai, au Japon, a fait scandale. L’affaire a éclaté après qu’une Japonaise a interpellé la compagnie ferroviaire locale pour savoir si cela faisait partie des directives données aux conducteurs.

    Le lendemain, la compagnie ferroviaire Nankai a officiellement présenté ses excuses pour le comportement « inapproprié » de son employé. D’après l’entreprise, il aurait pris l’initiative, non pour des raisons discriminatoires, mais pour éviter d’éventuels incidents. Un passager japonais avait lancé à haute voix, au départ du train en gare de Namba, dans le centre d’Osaka : « Il y atrop d’étrangers dans le train. C’est gênant. » La compagnie a déclaré : « Il n’est pas approprié d’établir des distinctions entre les passagers. » Et s’est engagée à ce que de tels incidents ne se reproduisent pas.

    Le wasabi, arme inattendue

    Le lendemain, le site satirique The Rising Wasabi – sorte de Gorafi local – publiait un papier évoquant « une compagnie d’Osaka » qui aurait « créé une voiture réservée aux étrangers ». Dans ce wagon, précise l’article, « régnera de manière notable une absence de décence et de bonnes manières ». La publication reprend ainsi des reproches souvent émis au Japon à l’égard des étrangers.

    Ce couac n’est pas le premier dans un pays en plein essor touristique. Le scandale du train fait suite à l’affaire du « terrorisme au wasabi », comme elle a été surnommée sur les réseaux sociaux. Quelques semaines plus tôt, un restaurant de sushis d’Osaka, principale ville du Kansai, avait été épinglé pour avoir servi à des touristes sud-coréens des sushis avec une quantité excessive de wasabi, la moutarde japonaise utilisée normalement avec parcimonie dans la confection de cette spécialité.

    Le « terrorisme au wasabi », un sujet qui a été largement relayé sur les médias coréens début octobre.

    La chaîne Ichibazushi, propriétaire du restaurant incriminéet filiale du géant de l’alimentaire Fujii Shokuhin, a également présenté ses excuses. Et rejeté toute accusation de racisme : « Beaucoup de nos clients étrangers demandent plus de wasabi et de gingembre. Il arrive que nous augmentions les quantités sans les consulter. » Les réseaux sociaux ont immédiatement fait circuler des images, reprises par les chaînes de télévision, montrant d’énormes quantités de wasabi entre la boule de riz et la tranche de poisson.

    Ces affaires font grand bruit dans l’Archipel, où l’omotenashi – la coutume d’accueil, d’hospitalité et de service – reste une tradition appréciée. Elles interviennent alors que le Japon s’enorgueillit d’un tourisme en pleine expansion. En août, il a accueilli plus de 2 millions de visiteurs étrangers, un chiffre en hausse de 12 % sur un an. Le gouvernement s’est fixé pour objectif d’en fairevenir 40 millions en 2020, deux fois plus qu’en 2015.

    •  Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

      Journaliste au Monde
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  • admin9596 7:43 am le October 27, 2016 Permaliens  

    Les inédits des « M » de la semaine 

    Depuis cinq ans, vous avez été nombreux à nous envoyer vos photos de M. Beaucoup d’entre eux n’ont malheureusement pas été publiés. A l’occasion des 5 ans de « M Le magazine du Monde », voici, réunis en cinq familles, les meilleurs d’entre eux.

     
  • admin9596 9:18 am le October 25, 2016 Permaliens  

    Alexandre Jardin bientôt candidat à la présidentielle ? 

    Alexandre Jardin, en décembre 2013.

    Comme d’autres écrivains avant lui, Alexandre Jardin a fait du Wepler son repaire. À la brasserie de la place de Clichy, à Paris, Henry Miller venait retrouver« les visages des serveurs, des directeurs, des caissières, des putains, des habitués… » Lui y vient pour changerle monde. Tee-shirt blanc, pull camionneur et chaussures d’ado, le jeune quinqua est attablé devant un plateau d’huîtres et travaille.

    Dans ce même café, le 8 septembre, il a appelé à la création d’une plateforme déclinée localement, La Maison des citoyens, pour réunir ceux qui ne se sentent plus représentés politiquement. « On va compter les gens qui ne comptent plus », aime-t-il répéter. Il lève sa tête ébouriffée de son ordinateur : « Ça marche tout seul, on est débordés. Plus de cent Maisons se sont déjà créées sur Facebook. Je leur envoie un dernier mail. »

    Le 8 septembre, lors de la création des Maison des citoyens :

    Il y a trois ans, M Le magazine du Monde avait rencontré Alexandre Jardin, musardant du côté des écrivains engagés, exhortant ses compatriotes à s’engager dans l’action citoyenne. Depuis, il poursuit dans la même veine flairant, à l’approche de la pré­sidentielle de 2017, un paradoxe : beaucoup de Français ­s’ap­prêtent à bouder l’isoloir, et, en même temps, s’impliquent dans la vie de la cité. Les Maisons repèrent les bonnes volontés du cru, les initiatives efficaces.

    « Les partis auront leur programme, nous aurons nos actions », lance l’écrivain. Pour cela, elles s’inspirent de son autre mouvement, créé en 2014 avec l’écrivain Guillaume Villemot, Bleu Blanc Zèbre. La structure réunit des « faizeux », comme il les appelle, soit 300 associations, entreprises, mairies ou autre, qui apportent des solutions aux problèmes d’emploi, d’illettrisme, d’environnement…

    Un programme un peu flou

    Pour « les Zèbres », Alexandre Jardin sillonne la France depuis trois ans. De quoi saisir l’humeur d’un pays. En décembre, fin du recen­se­ment géant. « Si nous sommes très nombreux, annonce-t-il sans être plus précis, nous créerons un parti et les gens de La ­Maison choisiront un candidat. Sinon, nous formerons un énorme lobby pour les territoires et les “faizeux”. » Que demandera ce groupe de pression ? Un peu tôt pour le dire. Un peu flou aussi. Autant le romancier déborde ­d’histoires de « faizeux » en tout genre, autant il reste souvent vague, confus même, sur le contenu de ces projets.

    « Il a une force d’entraînement hallucinante. » Guillaume Villemot, écrivain

    Un mois après son lancement, sa ­Maison ne comptait que 26 000 compères. Mais Guillaume Villemot ne doute pas du succès : « Il a une force d’entraînement hallucinante. » Secrétaire général de la CFDT, Laurent ­Berger s’est aussi laissé séduire par le personnage. « Alexandre, c’est un gars qui aime les gens, qui cultive la bienveillance. J’adhère à 100 % à sa mise en avant des initiatives citoyennes. Il montre que la démocratie ne se résume pas au vote. » En revanche, l’hypothèse que le mouvement présente un candidat le laisse dubitatif : « Il risque de tomber dans le piège qu’il dénonce. » Celui de la politique politicienne.

    En avril déjà, il avait rejoint une primaire citoyenne, La Primaire des Français, avec Corinne Lepage (Cap 21-LRC), Jean-Marie Cavada (Générations citoyens), etc. En mai, il s’est éclipsé. « Parce que ça ne marchait pas », argue-t-il. Et que « son moteur à lui, c’est lui », soutient Corinne Lepage, qui le trouve « très talentueux », mais lui en veut « d’avoir filé sans prévenir ».

    Objectif : sauver la France de l’extrême droite

    En juin, il a lancé un appel dans L’Express pour inviter des politiques tels Jean-Louis Borloo, ­Emmanuel Macron, Daniel Cohn-Bendit ou Nicolas Hulot, à fomenter« une révolution par les territoires ». Il a fait un bide. En juillet, au meeting d’Emmanuel Macron à la Mutualité, à Paris, il a occupé longuement la scène. « Pas pour le soutenir », affirme-t-il, déçu par l’ex-ministre et ses opérations de communi­cation, mais pour lui proposer, de nouveau, de le rejoindre, lui et ses « faizeux ». Re-bide.

    L’écrivain ne recule devant aucun échec car il a une mission. Il doit sauver la France de ­l’extrême droite. Une obsession venue de l’état du pays, mais aussi « d’une zone très trouble où il s’agit de racheter l’honneur perdu de sa famille », analyse Jean-Paul Enthoven, son éditeur chez Grasset.

    L’histoire est désormais connue : son grand-père, Jean Jardin, était directeur de cabinet du collaborateur Pierre Laval à Vichy. Le petit-fils se sent coupable par héritage. Cela ne l’empêche pas d’écrire des histoires d’amour, qui se finissent et se vendent bien. Dernière en date : Les ­Nouveaux Amants, publié le 12 octobre, 50 000 exemplaires attendus par Grasset. Mais cela renforce son action militante. « Le truc qui me rend fou, explique-t-il, c’est la question de la préférence nationale vantée par le FN, pour l’emploi ou les HLM. Ce sont des logiques de nettoyage ethnique qui ne disent pas leur nom. Vous vous rendez compte si la mécanique du tri revenait et qu’on n’ait rien fait ? »

    « C’est un homme qui, quoi qu’il fasse, le fait avec excès et c’est pour ça qu’on l’aime. » Jean-Paul Enthoven, son éditeur

    Jusqu’où ira sa colère ? En 2007, il a voté ­Nicolas Sarkozy – « J’en suis consterné. » En 2012, blanc. En 2017, ce fan du grand Charles sera-t-il le candidat de la société civile ? « On en a parlé, répond son éditeur. Oui, il peut aller jusqu’à cette sottise-là. C’est un homme qui, quoi qu’il fasse, le fait avec excès et c’est pour ça qu’on l’aime. » Le romancier en a parlé avec ses cinq enfants aussi. « L’autre jour, confie-t-il, ma fille de 11 ans m’a demandé : “Dis papa, tu veux pas être président ?”D’un point de vue familial, c’est ­compliqué. » Sans doute, mais qu’a-t-il répondu ? Le sourire ­s’envole. Silence. « Je lui ai dit, on ne laissera pas “la blonde” gagner. » Son visage se fige. Alexandre Jardin, perplexe, se tait de nouveau. Un phénomène rare. Au Wepler, l’heure est grave.

    Dominique Perrin

    Lire aussi : Alexandre Jardin, le zèbre qui veut sauver la France

     
  • admin9596 5:47 am le October 24, 2016 Permaliens  

    Les sumos, un corps d’élite 

    Ces lutteurs aux mensurations hors-normes sont vénérés et adulés au Japon. Les photographes Alexis Armanet et Vanessa Lefranc ont suivi trois jours durant le quotidien de ces colosses aux pieds d’argile. Dans cette rue de l’arrondissement de Chuo, à Tokyo, se trouve l’écurie de sumos Arashio. Fondée en 2002 par l’ancien champion Oyutaka Masachika, elle accueille 14 rikishis (lutteurs) et figure parmi la quarantaine de heyas que compte le Japon.

     
  • admin9596 12:34 am le October 21, 2016 Permaliens  

    L’objet de l’époque : les calories 

    Jean-Luc Mélenchon a capitulé face à la tyrannie du chiffre.Pas celle du grand capital, l’autre – celle qui se nomme kilocalories (kcal) et qui l’incite à manger des taboulés au quinoa. Qu’est-ce qui incarne mieux notre époque obsédée par la science crispante du data que ces unités énergétiques ? Personne ne sait à quoi elles correspondent, mais tout le monde connaît vaguement les règles. Femme, 2 000 par jour. Homme, 3 000. Big Mac, beaucoup trop.

    Les calories s’invitent sur les smartphones sans qu’on ait rien demandé. « Bravo, vous avez brûlé 781 calories avec Runtastic cette semaine ! Mettez vos chaussures et lancez-vous ! » Il y en a, des scores à obtenir. Chasser les Pokémon (41/250), vider les mails (372 non lus), mettre à jour le système d’exploitation (9.3.5), consulter le calendrier (4 événements au programme), et maintenant, donc, brûler des calories.

    Vigipirate de la bouffe

    Unités de mesure énergétique, utilisées sur le plan nutritionnel par les autorités pendant la première guerre mondiale pour inciter les populations à se rationner, comme l’explique l’Agence Science-Presse québécoise, les calories ont été transformées en outil de torture à l’usage des femmes par un livre, Diet and Health. With Key to the Calories, écrit par l’Américaine Lulu Hunt Peters, en 1918, et vendu à 2 millions d’exemplaires. « Désormais, vous mangerez des calories de nourriture. Plutôt que de dire que vous prenez une tranche de pain, ou une part de gâteau, vous direz 100 calories de pain, 350 calories de gâteau. » Merci Lulu.

    Depuis, elles ont survécu à tout. Aux assauts conjoints de l’OMS et de la FAO, qui leur préféraient le joule. Au magnifique « Comité pour la nomenclature de l’Union internationale des sciences de la nutrition », réuni en 1969 et parvenu à la même conclusion. Aux experts en tout genre qui répètent que les calories ne sont pas le seul élément à prendre en compte pour faire un régime.

    Mon soi quantifié

    Rien n’y fait. Au contraire, cela s’aggrave. Jadis, elles n’étaient que les compagnes semi-inconscientes de notre petit déjeuner – 113 kcal par portion de 30 grammes, ruminait-on devant nos céréales aux fruits rouges. Désormais, elles nous clignotent aux yeux par la grâce des nouveaux « étiquetages nutritionnels » testés depuis le 26 septembre dans plusieurs régions de France. Une sorte de Vigipirate de la bouffe, où le roquefort fait office de fiché S.

    En fait, les calories étaient très en avance sur leur temps. Des pionnières de la mesure corporelle, qui est aujourd’hui la mesure de toute chose. Je ne suis plus cet être débordant, ce mélange approximatif, à l’essence insaisissable. Je suis 2 000 kcal par jour ; je suis 10 000 pas quotidiens (recommandation OMS) ; je suis 5 fruits et légumes, 7 unités d’alcool par semaine ; je suis un IMC à 18,5 ; je suis 64 pulsations par minute. Mon soi est parfaitement quantifié, ni trop ni pas assez, sans espace vacant pour les angoisses existentielles. Mais alors, pourquoi me sens-je si vide ?

     
  • admin9596 3:50 pm le October 19, 2016 Permaliens  

    Jeremy Corbyn et Pedro Sanchez, la déroute des gauches européennes 

    Au Royaume-Uni, Jeremy Corbyn réélu à la tête du Parti travailliste n’en a pas fini avec la fronde interne. En Espagne, Pedro Sanchez vient de quitter son poste de secrétaire général du PSOE.

    Le Monde | 11.10.2016 à 09h10 • Mis à jour le11.10.2016 à 10h49 |Par Pierre Jaxel-Truer

    Jeremy Corbyn et Pedro Sanchez.

    Jeremy Corbyn

    Gauche dogmatique. Pour ses adversaires au sein du Parti travailliste, Jeremy Corbyn n’a longtemps été qu’un vieux barbon barbu incarnant jusqu’à la caricature la « vieille gauche », que Tony Blair avait naguère réduite à portion congrue. Son élection surprise à la tête du parti, en 2015, a ravivé la querelle des anciens et des modernes, que les tenants du « New » Labour Party croyaient gagnée à jamais.

    Seul contre ses parlementaires. Son manque d’investissement dans la campagne pour le maintien dans l’Union européenne a généré une fronde : 172 des 230 parlementaires travaillistes ont demandé sa tête. Du jamais-vu.

    Pari gagné. Rejeté par les caciques de son parti, il s’en est remis au vote des militants, plus à gauche que la plupart de leurs élus. Bien lui en a pris : le 24 septembre, il a été réélu avec 61,8 % des suffrages.

    Vers l’impasse ? Le parti se retrouve dans une position délicate. Si Corbyn est majoritaire chez les militants, son positionnement à gauche toute pourrait être un frein lors des élections nationales si les travaillistes veulent élargir leur assise en glanant des voix au centre. La droite, prise dans ses contradictions, qui aurait dû être en ruine après le vote du Brexit, a désormais le champ libre.

    Lire aussi : Royaume-Uni : Jeremy Corbyn élude le Brexit

    Pedro Sanchez

    Gauche tactique. Pedro Sanchez était un quasi-inconnu lorsqu’il s’est imposé en 2014 à la tête du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Alors poussé par la puissante présidente de l’Andalousie, Susana Diaz, devenue depuis sa meilleure ennemie, il faisait figure de modéré sans idéologie fixe. Il a récemment pris un virage à gauche très tactique, en prônant une alliance avec le parti anti-austérité Podemos, pour tenter de former un gouvernement.

    Seul contre ses barons. Depuis deux ans, le PSOE enchaîne les revers électoraux. Les présidents des régions socialistes lui reprochent aussi d’avoir bloqué depuis plus de neuf mois la formation d’un gouvernement en faisant voter ses troupes contre la droite quand leur abstention aurait permis de sortir de l’impasse.

    Pari raté. En convoquant une primaire pour fin octobre, il pensait réussir un « coup » à la Corbyn : s’appuyer sur la base pour desserrer l’étau de ses ennemis. Las, mis en minorité dans les instances du parti, il a démissionné le 1er octobre.

    Vers une éclaircie ? Son départ ne règle pas les problèmes du PSOE. La crise dans laquelle il s’est enfoncé menace de le reléguer durablement au rang de deuxième force de la gauche, derrière Podemos.

    •  Pierre Jaxel-Truer

      Journaliste au Monde
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  • admin9596 4:27 am le October 18, 2016 Permaliens  

    La tombe du soldat Khan, lieu de pèlerinage au cimetière d’Arlington 

    Par solidarité avec la communauté musulmane stigmatisée par Donald Trump, les visiteurs affluent sur la sépulture d’Humayun Khan, tombé en Irak.

    A perte de vue, les stèles blanches forment des lignes et des diagonales parfaites, seulement rompues de loin en loin par un arbre centenaire. Pour trouver la tombe du soldat Humayun Khan, il faut s’écarter des sentiers balisés que suivent en masse les milliers de visiteurs du cimetière militaire d’Arlington (Virginie). Surplombant la ville de Washington, la flamme qui honore la tombe de John F. Kennedy constitue bien souvent le point d’orgue de leur pèlerinage.

    Mais depuis quelques semaines, la section 60, réservée aux soldats tombés en Irak et en Afghanistan, n’attire plus ­seulement les familles de militaires, jeunes et moins jeunes, qui ont perdu la vie ces quinze dernières années. A l’entrée du cimetière, plan du site en main, les gardiens ont dû mémoriser l’emplacement 7986 et dessinent désormais d’un trait sûr le chemin qui mène à la stèle de marbre marquée du croissant et de l’étoile, emblèmes de l’islam.

    Un geste politique

    La tombe d’Humayun Saqib Muazzam Khan, né en 1976 aux ­Emirats arabes unis, mort en 2004 dans une opération en Irak, est devenue un lieu de passage et de recueillement depuis que son père, Khizr Khan, invité à s’exprimer lors de la convention démocrate de Philadelphie, en juillet, a tonné contre les ­propositions de Donald Trump visant à interdire l’entrée sur le territoire américain à tout musulman venant d’un pays touché par le terrorisme.

    Lire aussi : Trump multiplie les propos et les propositions hostiles aux musulmans

    La famille Khan est arrivée du Pakistan à la fin des années 1970. « Tous les jours, quelqu’un nous demande où se trouve la tombe du soldat Khan, confirme une gardienne du cimetière. Les gens veulent lui rendre hommage. » Pour ceux qui font le détour, le geste est politique : apporter un soutien à la communauté musulmane, stigmatisée par le candidat républicain à l’élection présidentielle. Et marquer, au passage, leur désaccord avec le « manque de respect » porté par Donald Trump aux minorités, ainsi que l’avait dénoncé Khizr Khan.

    Ce jour de septembre, une carte postale figurant le drapeau américain et une lettre scellée destinée à la famille Khan ont été déposées, dans l’herbe, au pied de la tombe. Au dos de la carte, une jeune fille de l’Ohio assure aux parents de Humayun être« désolée » de la mort de leur fils et les remercie pour leur « sacrifice ». Des témoignages de ce type, les Khan en ont reçu des milliers ces dernières semaines. Les gardiens du cimetière collectent régulièrement les messages ou les objets déposés là et les remettent aux parents du soldat, qui habitent à deux heures de route de Washington.

    Au nom de la Constitution américaine

    Car l’intervention de ­Khizr Khan père reste gravé dans les esprits. Se présentant comme un « patriote musulman américain », il avait directement ­interpellé Donald Trump. « Vous n’avez rien sacrifié, vous n’avez perdu personne », lui avait-il lancé, avant de brandir un exemplaire de la Constitution américaine en lui conseillant d’y chercher les mots « liberté » et « égale protection devant la justice ».

    Intervention de ­Khizr Khan le 28 juillet 2016 à Philadelphie lors de la Convention démocrate :

    Piqué au vif, Donald Trump avait réagi, en assurant, de manière quelque peu déplacée, que lui aussi avait fait « beaucoup de sacrifices » et créé « des milliers d’emplois » en travaillant « dur, très dur ». Surtout, il avait suggéré que la mère d’Humayun Khan, Ghazala, venue avec son mari sur la scène de Philadelphie, les cheveux couverts d’un voile souple, semblait n’avoir « rien à dire et n’avait probablement pas le droit de dire quoi que ce soit ».

    Contre les préjugés sur l’islam

    Ces remarques, immédiatement perçues comme une allusion aux préjugés sur la place de la femme dans l’islam, avaient à leur tour choqué. Ghazala Khan avait alors justifié son silence en expliquant qu’elle n’aurait pu parler publiquement de la mort de son fils sans s’effondrer.

    Quatre jeunes Américains, croisés en cet après-midi de ­septembre dans la section 60, ont « entendu parler de toute cette histoire à la télé ». Venus se recueillir sur la tombe d’un de leurs proches, également mort en Irak, ils font, comme beaucoup d’autres avant eux, une halte silencieuse devant la stèle du soldat Khan.

    Lire aussi : Présidentielle américaine, J-98 : de l’islam à la Russie, un week-end de polémiques

     
  • admin9596 2:11 am le October 17, 2016 Permaliens  

    L’hymne espagnol cherche ses mots 

    L’absence de paroles de l’hymne espagnol se fait ressentir surtout pendant les événements sportifs.

    Eau et terre bordent mes frontières sous un ciel bleu que je veux partager… » Guillermo Delgado, simple citoyen espagnol de Valladolid, y a mis du sien pour résoudre le grand drame de l’hymne espagnol : son absence de paroles. Le 20 septembre, il a déposé à la commission des pétitions, au Congrès des députés, une proposition de texte, baptisée « Por la Libertad » (« pour la liberté »), qui ne lésine pas sur la guimauve. Pour ne pas heurter la sensibilité des nationalistes catalans et basques, il a soigneusement évité les termes « patrie » ou « nation ». Et pour s’assurer une large diffusion, il a décliné son titre façon flamenco, et a réalisé un clip, sans oublier d’éditer un livre – avec une version en braille – qui explique chaque paragraphe. Objectif, éviter le même sort que ses nombreux prédécesseurs : la poubelle.

    Il y a quelques années, une ministre de la culture espagnole, Carmen Calvo, avoua qu’elle recevait une proposition de paroles pour l’hymne national tous les trois jours… C’est dire l’intérêt que suscite la question. La Marcha Real (« marche royale »), ou Marcha Granadera (« marche des grenadiers »), composée au XVIIIe siècle, n’a jamais eu de paroles officielles. Sous la dictature de Franco, elle était bien accompagnée d’un texte de José María Pemán, déjà en usage sous l’ex-dictateur Miguel Primo de Rivera.

    Le nationalisme espagnol associé au franquisme

    Mais à la mort de Franco, si l’hymne fut conservé, il fut privé de paroles, faute d’en trouver de consensuelles. Dans l’imaginaire collectif, le nationalisme espagnol est alors intimement associé au franquisme, l’unité et la réconciliation du pays ne sont encore que des vœux pieux, les séquelles de la guerre civile sont encore vives et les indépendantistes basques ou catalans peu enclins à exalter la grandeur de l’Espagne…

    Régulièrement, le sujet revient sur la table. L’absence de paroles se fait particulièrement ressentir pendant les événements sportifs. En 2007, le Comité olympique espagnol convoque un concours présidé par un jury de musiciens et d’historiens. Mais le texte vainqueur, Viva España, est aussitôt retiré. Ses auteurs avaient pourtant pris soin de définir la « patrie » comme un ensemble de « peuples en liberté ». Pas de quoi convaincre les nationalistes basques et catalans.

    En 2012, le parti antinationaliste catalan Ciudadanos, désireux de redorer un hymne de plus en plus souvent sifflé par les indépendantistes, avait fait une nouvelle tentative. Il avait sorti des cartons une autre proposition de 2007, celle du prestigieux auteur, compositeur et interprète Joaquín Sabina. En vain. Malgré les nombreuses plaisanteries et parodies suscitées par sa version, Guillermo Delgado, lui, qui se dit amoureux de son pays, est bien décidé à se battre pour gagner l’oreille des députés.

    Lire aussi :Espagne : vaut-il mieux un hymne sifflé ou censuré ?

    Vidéo : le clip « Por tu libertad » de Guillermo Delgado

     
  • admin9596 2:24 pm le October 15, 2016 Permaliens  

    Retour à Twin Peaks 

    Kyle MacLachlan dans « M » le magazine du Monde. (Veste SS 17 en coton, Balenciaga. Chemise et pantalon en coton, Giorgio Armani).

    « Chaque jour, une fois par jour… Faites-vous un cadeau. Ne le planifiez pas. Ne l’attendez pas. Laissez-le venir. Cela peut être une nouvelle chemise, une sieste dans votre bureau. Ou deux tasses d’un bon café noir bien chaud. » C’est une leçon de vie de Dale Cooper. L’agent spécial du FBI un peu pied-tendre, envoyé dans une bourgade à 5 miles de la frontière canadienne pour enquêter sur le meurtre sadique d’une belle étudiante.

    C’était en 1990, dans « Twin Peaks ». David Lynch à la manœuvre. Les foyers du monde entier n’ont pas oublié. Le cinéaste a pénétré nos inoffensives télévisions, inoculant chaque semaine un cadeau vénéneux. Côté pile, un feuilleton aux personnages originaux et attachants. Côté face, une fable sexuelle et perverse, terrifiante comme un cri muet. Lynch transpose les obsessions de Blue Velvet (1986) au petit écran à une heure de grande écoute et, en trente épisodes, change les codes de la série télévisée.

    « Twin Peaks » saison 3, vingt-cinq ans après

    Dans un bistrot de Manhattan, Kyle MacLachlan, 57 ans, agent Cooper à l’écran, s’offre une pale ale glacée. Dehors, c’est la dernière chaude journée de septembre. Au WXOU Radio, le seul bar avec juke-box du Greenwich Village, on ne sert pas de ce café « noir comme une nuit sans étoiles » que s’enfile le personnage de « Twin Peaks ». De toute manière, Kyle préfère la bière, contrairement à son alter ego lynchien.

    Cooper reprend du service. La saison 3 est programmée pour 2017 après un peu plus de vingt-cinq ans de silence : un cas peut-être unique dans l’histoire de la télévision. Le temps a tracé quelques pattes d’oie sur son visage, malmène parfois son dos. « Trop de temps passés dans les aéroports ! Avant-hier, mon avion est resté sur le tarmac à Yakima, où j’étais pour les vendanges. » MacLachlan vit entre Los Angeles, New York et l’Etat de Washington, où il a grandi. Il y passe une partie de son temps depuis l’acquisition d’un vignoble en 2005. La petite exploitation produit environ 400 caisses par an.

    Kyle MacLachlan dans « M » le magazine du Monde. (Chemise en coton, Ralph Lauren Label Purple. Pantalon en coton, Giorgio Armani. Baskets, Converse Jack Purcell. A droite, manteau en laine et chaussures en cuir, Ralph Lauren. Pantalon en laine, Paul Smith.)

    Kyle est conscient de l’attente autour du retour de « Twin Peaks ». Pour ne pas l’être, il faudrait vivre en ermite, sans son téléphone, qu’il manipule avec gourmandise en montrant des images de grappes joufflues de cabernet. Il y a ce tweet de Stephen King, le jour de l’annonce : « Holy Shit, America ! Twin Peaks revient en 2017 ! » ; les festivals consacrés à la série chaque année depuis 1992 ; les touristes qui arpentent la route de North Bend reliant Yakima à Seattle, et qui grappillent, à flanc de montagne, quelques bribes d’un monde imaginaire. « A l’époque, on avait déjà une idée de l’impact. Les spectateurs se rassemblaient dans les bars ou à la maison pour reproduire les excentricités de la série, le café, la tarte aux myrtilles, les costumes… Mais ce n’était pas encore le forum global d’aujourd’hui, ce bombardement continu d’avis, d’idées, de pensées. Une nouvelle génération est venue s’y greffer, qui n’était même pas née – mon Dieu ! – en 1990. »

    Holy shit, America! TWIN PEAKS is coming back next year, to Showtime! Agent Dale Cooper will drink more coffee!

    — Stephen King (@StephenKing) 6 octobre 2014

    Trente-cinq acteurs de la série d’origine ont accepté le défi, dont Sherilyn Fenn (l’incendiaire Audrey Horne) et Sheryl Lee (Laura Palmer). Le compositeur fétiche de Lynch, Angelo Badalamenti, à qui l’on doit les nappes du générique et les encarts jazzy, est lui aussi du voyage. Mais le temps a clairsemé les rangs. Frank Silva (Bob) et Catherine E. Coulson (la « femme à la bûche ») sont morts. D’autres ont simplement refusé. Pour MacLachlan, dès l’écoute du message vocal nasillard de Lynch – « Kyle ! Il faut qu’on parle » –, il n’y avait « aucune question à se poser ». Pourquoi vingt-cinq ans plus tard ? Les exégètes de la série le savent : dans un rêve, Laura Palmer donne « rendez-vous dans vingt-cinq ans » à Cooper.

    « Les fans ne doivent rien savoir. Parce que, après, commencent les spéculations, qui enlèveraient de la magie, je dirais même de la majesté à notre projet. »

    Tout part de cette seule réplique. Lynch aurait pu se contenter d’un clin d’œil hommage, d’une pochade sur Internet, ou d’une réunion d’anciens. Personne ne s’attendait vraiment à une troisième saison. Ce qui était une blague de fin de dîner – Kyle MacLachlan aimait bien charrier Lynch là-dessus – ou un fantasme de forum en ligne est devenu un projet excitant, lourd, compliqué.

    Le cinéaste est derrière la caméra du début à la fin de la saison, au contraire de 1990, où Lynch, cumulant les projets, avait peu à peu pris ses distances avec le feuilleton. Il était pris par la sortie de Sailor et Lula, par l’exposition d’œuvres personnelles au Musée d’art contemporain de Tokyo. Surtout, après que la chaîne ABC a exigé, sous la pression critique et populaire, que l’identité du meurtrier soit « enfin » révélée en cours de route, Lynch, échaudé, a délégué la réalisation de nombreux épisodes. « La saison 2 n’était pas la plus intéressante, reconnaît l’acteur. Ça devenait vraiment tordu. Mais cette fois, c’est son bébé. » Le tournage de neuf mois s’est terminé en avril. Les six premières semaines dans l’Etat de Washington, le reste à Los Angeles. Au demeurant, MacLachlan en sait beaucoup plus qu’il n’en dira. Les précautions autour du projet sont comparables à celles entourant la recette du Coca-Cola. « Et ça me fait plaisir. Les fans ne doivent rien savoir. Parce que, après, commencent les spéculations, qui enlèveraient de la magie, je dirais même de la majesté à notre projet. » Le site à sensations TMZ a diffusé les images volées d’un tournage nocturne ; elles sont prises de si loin qu’on ne distingue pas les acteurs.

    « Je regarde dans le rétroviseur, il y a eu des sommets, des creux, des virages et des impasses. Mais je ne m’en suis pas trop mal tiré. »

    MacLachlan a découvert le script dans le bureau capitonné d’une société de production de Los Angeles, seul pendant deux heures, avant de devoir le rendre aux producteurs. « Beaucoup plus tard, j’ai enfin eu un script bien à moi », mais des parties de texte étaient blanchies vers la fin. « Je ne sais toujours pas comment la saison 3 se termine. » En 1990 déjà, Lynch embrouillait ses acteurs principaux. La cousine de Laura Palmer a été assassinée par quatre personnages différents dans la même journée, pour que personne sur le plateau ne puisse connaître avec certitude son identité. Après « Twin Peaks », les deux hommes se sont séparés, du moins professionnellement. MacLachlan tourne dans un accident industriel : Showgirls, de Paul Verhoeven. On le retrouve depuis dans les séries « Sex and the City », « Desperate Housewives », « Marvels’ Agents of SHIELD », et actuellement « Portlandia », chronique sociologique des bobos de la Côte ouest, où il incarne le maire de Portland pour la septième saison. « Je savoure ma chance de tourner avec Lynch aujourd’hui, peut-être plus qu’à l’époque. Le temps qui passe rend la chose plus précieuse. »

    Papa gâteau et bon vivant

    Marié à la productrice Desiree Gruber en 2002, à un peu plus de 40 ans, l’acteur se décrit comme « un homme qui a pris le temps de mûrir ». Père d’un enfant de 8 ans, MacLachlan renvoie l’image d’un papa gâteau et d’un bon vivant, moins ambigu que ses personnages. Son plus grand écart de conduite : une vidéo sur YouTube réalisée avec sa femme sous la forme d’un pilote de série, avec pour héros leurs deux chiens, « Mookie and Sam ». L’acteur a délaissé l’esprit inquiet qui transparaissait de ses entretiens des années 1990, quand, au pic de sa gloire, il se sentait « dans un tunnel », « en quête d’autre chose » et enchaînait les histoires d’amour compliquées. « Je regarde dans le rétroviseur, il y a eu des sommets, des creux, des virages et des impasses. Mais je ne m’en suis pas trop mal tiré. »

    Kyle MacLachlan a grandi à Yakima, à l’ombre des séquoias. « Un coin d’Amérique où les bois ont une grande part de mystère », a un jour dit le mentor Lynch, toujours cryptique, qui a, lui, grandi dans le Montana voisin. Kyle se souvient d’une banlieue tranquille, d’un verger au fond du jardin, d’un père strict. Aîné de trois frères, il part à Seattle étudier les arts dramatiques ; quand il rentre chez lui pour les vacances, il arpente déjà, sans le savoir, le futur décor de « Twin Peaks ». Il incarne en tournée les premiers rôles de Molière et Shakespeare quand il est repéré par un agent parti aux quatre coins des Etats-Unis pour recruter le héros de Dune. « Un casting à l’ancienne. Seule condition pour le rôle : il leur fallait un parfait inconnu. J’étais le dernier à passer ce jour-là… »

    Eprouvé par l’échec de « Dune »

    La cassette vidéo arrive dans les mains de Lynch et de la productrice, Rafaella De Laurentiis. « Ils demandent à me voir. Je descends à L. A. rencontrer Lynch aux Studios Universal, dans un bungalow, derrière un parking. » Kyle MacLachlan n’a encore jamais travaillé face caméra. « J’étais paralysé. David disait : “T’inquiète pas, ça va aller…” Il a été très positif. Il l’a toujours été. » Après Eraserhead et Elephant Man,Dune était la première superproduction de Lynch, destinée à le propulser dans la catégorie des poids lourds, comme Spielberg. 40 millions de dollars de budget, 1 700 figurants. Un tournage dans le désert du Mexique, qui semble avoir marqué l’acteur plus que tout autre film. Ce fut un bide complet et unanime à l’époque, mais le critique du magazine Time Richard Corliss a tout de même envoyé cette fleur au jeune acteur de 25 ans. « MacLachlan grandit tout au long du film ; ses traits passent d’un juvénile enfant gâté à ceux d’un homme viril, séduisant, une fois qu’il a accepté de remplir sa mission. »

    Kyle MacLachlan dans « M » le magazine du Monde.  (Manteau et chemise en nylon, Prada. Pull col v en popeline de coton, archive Raf Simons. Cravate en nylon, Canali. A droite, manteau en cuir archive Jil Sander. Col roulé en laine, Hugo Boss. Pantalon, Armani. Stylisme Tom Guinness)

    L’échec de Dune a beaucoup affecté Kyle MacLachlan ; l’important, note-t-il, c’est que la relation perdure avec celui qui l’a « sorti de l’obscurité ». En plein tournage, Lynch lui tend déjà le script de son prochain film, Blue Velvet : l’histoire d’un jeune homme qui revient dans la ville de son enfance et découvre, derrière les façades tranquilles des maisons, la corruption et les désirs pervers. « J’ai aimé ce personnage jeté en eaux troubles. Un côté shakespearien, peut-être. » Quatre ans plus tard, Lynch transpose ces obsessions de duplicité, de sexe et de violence cachée à la télévision, en y incorporant les codes du feuilleton soap, dans une ville imaginaire, qui s’appellera Twin Peaks. MacLachlan connaît mieux que personne les méthodes rêveuses du cinéaste sans les partager pour autant. Pour lui, « l’inspiration vient en marchant, en dialoguant. Et au petit matin, la meilleure heure, quand l’esprit n’est pas encombré par les événements de la journée ».

    « Rassurez-vous. David est à son meilleur. Vous rirez. Et vous aurez peur. »

    L’acteur est revenu vivre dans l’Etat de Washington autour de 2005, pour passer du temps avec son père au crépuscule de sa vie. Un temps qu’ils ont consacré au golf, et à un vignoble, dans les collines de Walla Walla, dans lequel ils ont investi. Il a nommé son vin Pursued By Bear (« poursuivi par l’ours »). Une didascalie tirée du Conte d’hiver, de Shakespeare, qui signale le changement de ton de la pièce du tragique au comique. Parler du sol basaltique, vallonné de ses vignes, rend MacLachlan lyrique. « Des inondations diluviennes se sont abattues sur Walla Walla, quand les immenses lacs de glace se sont mis à fondre, il y a des milliers d’années », engendrant du carbonate de calcium, qui permet aux racines des ceps de pénétrer les sols en profondeur.

    Lire aussi (édition abonnés) : Sous la lune de Twin Peaks

    Là encore – faut-il s’en étonner ? – il y a du Lynch dans cette aventure vinicole. « J’aimais le vin depuis le lycée, mais c’est en en parlant que ça a accroché entre David et moi, au premier déjeuner. On a parlé du Nord-Ouest et des vins rouges. Le soir, j’étais seul dans ma chambre d’hôtel, je ne connaissais pas Los Angeles. Pour fêter mon casting, David m’envoie dans la chambre un bordeaux, un Château Lynch-Bages. »

    « Twin Peaks » a laissé l’image d’un agent Cooper devenu possédé. Dans la dernière minute du feuilleton, il se fracasse la tête contre un miroir, avant d’être pris d’un rire démoniaque. Dans quel état retrouvera-t-on Dale Cooper ? Comment raviver la flamme après tant d’années ? « Rassurez-vous, dit Kyle en guise de réponse. David est à son meilleur. Vous rirez. Et vous aurez peur. »

    Lire aussi : David Lynch réalisera finalement la prochaine saison de « Twin Peaks »

    Bande-annonce

     
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