La deuxième révolution sexuelle des séries américaines

Aux Etats-Unis, les chaînes payantes ont longtemps utilisé le sexe pour recruter des abonnés. Aujourd’hui une nouvelle ère, marquée par le réalisme et la diversité, est en marche.

Dans la série « Outlander », une femme bigame initie sexuellement un homme.

« Un pays des merveilles obscène » : c’est ainsi qu’Emily Nussbaum, la critique de télévision du New Yorker, décrivait récemment le monde de la fiction audiovisuelle américaine. Le respectable magazine saluait en l’occurrence la deuxième saison de « Transparent », une série d’Amazon couverte de récompenses (deux Golden globes, cinq Emmy Awards). Elle raconte à la fois le « coming out » transgenre d’un professeur californien à la retraite et la vie sexuelle hyperactive de ses trois enfants trentenaires : l’aînée qui quitte son mari pour une femme, le benjamin qui collectionne les conquêtes et la cadette qui se cherche. Chaque épisode contient, comme le résume le guide parental du site de référence IMDb, « de multiples scènes de sexe, y compris bucco-génital, entre couples hétérosexuels et homosexuels » (quotient de nudité : 8 sur 10).

La télé américaine ne pense qu’à ça

Produite par le cinéaste Steven Soderbergh, « The Girlfriend Experience », la nouvelle série phare de la chaîne Starz, s’intéresse pour sa part « sans jugement » à la sexualité d’une étudiante en droit qui travaille comme escort girl de luxe après ses journées de stage dans un cabinet d’avocats. Depuis avril, la chaîne câblée diffuse également la deuxième saison d’« Outlander », une saga romantico-fantastique dont les scènes de sexe ont été saluées comme « révolutionnaires » par la blogosphère féministe. Moralité : la télé américaine ne pense qu’à ça.

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Voilà bientôt vingt ans que les chaînes payantes utilisent le sexe pour appâter le chaland, elles qui échappent et à la censure de la Commission fédérale des communications (FCC), équivalent américain du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et aux desiderata des annonceurs.

Rapports maladroits et ratés

La révolution des séries d’auteur, emmenée par HBO avec « Les Soprano » à la fin des années 1990, promettait déjà jurons et nudité aux abonnés du câble. Mais le sexe que ces séries donnaient à voir est longtemps resté conforme aux clichés hollywoodiens les plus éculés, estime Maureen Ryan, la critique de télévision du magazine Variety. « Lumière dorée, dos cambrés, fixation sur le corps de la femme : sur la forme, les scènes de sexe étaient faites pour plaire aux hommes hétéros, explique-t-elle. Sur le fond, il y avait aussi cette idée que la sexualité féminine est dangereuse. A l’exception des héroïnes de “Sex and the City”, les femmes un peu trop libérées finissaient par le payer, comme dans ces films d’horreur où la fille sexy est toujours la première à y passer. »

La reprise en main de leur sexualité par de jeunes New-Yorkaises dans « Girls ».

Tout change en 2012 avec « Girls », la série de la jeune new-yorkaise Lena Dunham (26 ans à l’époque) sur les mœurs des enfants du millénaire. Pour la première fois, des protagonistes aux corps imparfaits ont des rapports sexuels, souvent maladroits et parfois ratés – bref, plausibles – à la télévision. Depuis, le paysage audiovisuel américain vit une deuxième révolution sexuelle, marquée par le réalisme et la diversité.

Tous les coups sont permis

Tous les coups sont permis : entre femmes (« Orange is the New Black »), entre hommes (« How to Get Away with Murder »), à trois (« House of Cards »), en groupe (« American Horror Story »), en position du 69 (« The Americans »), pour la science (« Masters of Sex »), au moyen d’un gode-ceinture (« Broad City »), avec ou sans consentement (« Game of Thrones »). Ces scènes de sexe sont parfois drôles, souvent dérangeantes, comme les ébats conjugaux ratés de « Togetherness » (HBO), ou la fameuse scène de la baignoire de « Transparent », qui culmine avec l’orgasme d’une septuagénaire. L’objectif n’est plus seulement de faire fantasmer.

Le quotidien d’une étudiante en droit qui s’improvise escort girl dans « The Girlfriend Experience ».

La grande gagnante de ce changement d’époque est la sexualité féminine. Ilana Glazer et Abbi Jacobson, les deux jeunes créatrices de la série « Broad City », sur Comedy Central, se targuent de truffer leurs scénarios de scènes de cunnilingus. « Nous sommes très conscientes de la surreprésentation statistique des fellations dans les médias et nous essayons de changer ça », ont-elles expliqué, en mars, au micro du chroniqueur Dan Savage.

Le tabou du phallus n’est pas encore tombé

« Outlander » (disponible en France sur Netflix) est une autre série qui à mis en vedette cette pratique érotique dès son premier épisode. En voyage avec son mari au sortir de la seconde guerre mondiale, l’héroïne, assise sur une table, met celui-ci à genoux entre ses cuisses écartées. Peu après, cette infirmière militaire se retrouve transportée dans l’Ecosse de 1743, où elle survit en épousant un highlander baraqué.

L’épisode de leur mariage, vu par plus de cinq millions d’Américains, montre longuement l’initiation sexuelle exemplaire que cette jouisseuse désormais bigame offre à son jeune et vierge mari. « L’héroïne n’est pas jugée, mais au contraire reconnue, pour ses désirs et son expérience, commente Maureen Ryan. Cet épisode renverse aussi le sempiternel regard mâle pour s’attarder sur le corps du personnage masculin. C’est un tournant radical. » On ne voit cependant jamais le héros de cette nuit de noces en nu intégral. Sur le petit écran, le tabou du phallus n’est pas encore tombé.

Bande-annonce de la série « Girls »