Faute de place, les Pays-Bas logent les réfugiés en prison

La pénurie d’hébergements pour les migrants contraint les autorités néerlandaises à ouvrir les établissements pénitentiaires laissés à l’abandon.

Des Syriens, des Afghans, quelques Libyens, deux ou trois Algériens, un Marocain : tous sont demandeurs d’asile aux Pays-Bas. Et profitent de la liberté que leur offre le royaume… en prison. Confrontées à des difficultés pour accueillir les réfugiés, les autorités néerlandaises ont décidé de loger un bon nombre d’entre eux dans des établissements pénitentiaires à l’abandon, parfois promis à la démolition. Sirattulah, Fadi, Amina et quelques centaines de leurs compatriotes habitent ainsi d’anciennes cellules de la prison De Koepel, à Haarlem, dont les portes sont désormais grandes ouvertes.

Un couple de réfugiés afghans dans leur chambre-cellule de la prison de Koepel, à Haarlem.

L’un sirote un café devant sa chambre-cachot, les pieds posés sur la rambarde ; l’autre épile les sourcils de sa compagne. Un troisième observe, depuis sa fenêtre, sa sœur en train d’apprendre à monter à vélo, aidée par une bénévole d’un groupe de soutien local. Dans la grande cour, des jeunes gens de toutes nationalités devisent dans un anglais approximatif.

« C’est vrai, c’est peut-être un peu bizarre au début, mais après ce que nous avons vécu, l’essentiel, c’est d’être en sécurité… » Ayman, une migrante syrienne

Et sous l’immense préau, deux équipes multinationales s’affrontent, hilares, dans un match de minifoot. « C’est parfait, non ? Un bel espace, une grande cuisine, des installations modernes », se réjouit un responsable de l’Organe central pour l’accueil des demandeurs d’asile, interrogé sur la dimension, quand même très symbolique, de cet accueil à la néerlandaise. « Oh, vous savez, les symboles… » « C’est vrai, c’est peut-être un peu bizarre au début, mais après ce que nous avons vécu, l’essentiel, c’est d’être en sécurité… », renchérit

Ayman, qui a fui la Syrie avec deux de ses amis.

Dans la foulée d’Haarlem, d’autres villes comme Arnhem et Zeist vont aussi se lancer. A Amsterdam, la mairie devrait installer dès juillet, et pour dix-huit mois au moins, plusieurs centaines de demandeurs d’asile dans l’institution pénitentiaire d’outre-Amstel, les Bijlmerbajes. Cet enfilement de bâtisses à l’allure austère devait être rasé pour faire place à un nouveau quartier.

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Une partie des murs a finalement été détruite et les grilles des fenêtres enlevées. « Un tel bâtiment est parfaitement adapté à l’accueil temporaire », commente la mairie. Une vision pragmatique largement partagée dans le royaume, où l’installation des réfugiés dans des prisons a suscité peu de débats. Grâce à la baisse de la délinquance et au recours massif aux peines alternatives, beaucoup d’établissements pénitentiaires sont vides. D’ailleurs, les Pays-Bas louent déjà une partie de leurs prisons à la Belgique.

400 projets de réaménagement

L’association VluchtelingenWerk est l’une des rares à avoir élevé des objections. « Le plus important, pour les réfugiés, est de pouvoiroublier leurs expériences traumatiques, et je ne pense pas qu’on puisse y parvenir en prison », explique sa directrice, Dorine Manson. Elle demande donc au gouvernement de faire au moins enlever, dans les établissements concernés, tout ce qui rappelle un peu trop leur vocation première : grilles, verrous, caméras, etc.

Le royaume ne compte toutefois pas en rester là pour résoudre ses difficultés d’accueil des demandeurs d’asile. Pragmatiques, les Néerlandais savent aussi faire preuve d’imagination. Et au populiste Pim Fortuyn – assassiné en 2002 – qui avait lancé : « Les Pays-Bas sont pleins », pour demander l’arrêt de toute immigration, l’architecte Floris Alkemade réplique : « Les Pays-Bas sont vides. » Avec un groupe de confrères, il a lancé un appel et reçu 400 projets de réaménagement destinés au logement de nouveaux arrivants en utilisant notamment tous les espaces vacants (écoles, bureaux, magasins). En mai, il est même allé détailler ses idées devant les Nations unies.