A Palerme, le palais du « Guépard » menacé

Les propriétaires du palais Gangi ne peuvent plus assumer les frais de restauration.

La galerie des glaces au sol orné de guépards, où fut tournée la scène du bal du « Guépard » de Luchino Visconti, en 1963.

La princesse en a ras le bol. Carine Vanni Mantegna, épouse du prince Giuseppe Vanni Calvello Mantegna di Gangi, est sur le point de tout envoyerpromener : la Sicile, Palerme et son beau palais Gangi, 8 000 mètres carrés situés au cœur de la ville. Ce dernier passe pour être un des plus beaux et des plus authentiques témoignages du rococo sicilien. C’était l’avis de Luchino Visconti qui y tourna la plus fameuse scène de bal du cinéma mondial dansLe Guépard (1963). Angelica (Claudia Cardinale) au prince Fabrizio Salina (Burt Lancaster) dans la version française : « J’avais entendu dire que vous étiez un bon danseur, prince. » Lui : « Je suis désolé de t’avoir causé une déception. » Elle : « Vous êtes beaucoup plus qu’un bon danseur, vous êtes un danseur merveilleux… Oui, vraiment merveilleux… »

Le 26 mai, dans un entretien au Corriere Della Sera, la princesse Carine, une Française d’origine lyonnaise et haut-savoyarde, a en effet menacé de tout vendre : le palais – ses dorures, ses tableaux, ses voûtes ornées de fresques, sa galerie des glaces, son double escalier, ses pavements de céramique – appartient à la famille de son époux depuis sa construction en 1652.

« Je déteste Palerme et je ne la supporte qu’à cause de cette baraque ! » La princesse Carine Vanni Mantegna

Le coupable ? L’ancien président du Conseil Mario Monti qui, arrivé au pouvoir en 2011 en pleine crise financière, a rétabli l’impôt sur la résidence principale, qu’elle soit ou non historique. Le couple princier, qui a investi 4 millions d’euros en vingt ans pour maintenir le palais en état, ne bénéficie d’aucune détaxation et encore moins d’aides.

Contactée au téléphone, la princesse Vanni Mantegna relativise légèrement ses propos. « Si je ne reçois aucune réponse à ma menace, nous vendrons tout dans deux ans. » Mais se montre bien plus virulente sur la Ville : « Je déteste Palerme et je ne la supporte qu’à cause de cette baraque ! » Pourquoi ne pas la louer ? « Je devrais investir 1 million d’euros pour la transformer en Bed & Breakfast de luxe, mais je ne pourrais pas facturer tellement au-delà de 100 euros la nuit. Ce sont les prix ici, surtout que nous sommes dans le centre-ville, qu’il est mal entretenu et peu sûr. » Organiser des visites ? « C’est compliqué. Je ne reçois de visiteurs qu’au compte-gouttes et sur rendez-vous. Les meubles et les objets sont trop précieux. » Oter les plus rares et les remplacer par des copies ? « Cela n’aurait aucun sens de présenter une coquille vide. Il faudrait également engager du personnel. Or, pour l’instant, je ne peux me permettre d’employer que mon majordome. Avec lequel je m’occupe de tout ! Je fais même le secrétariat… »

Le Palais Gangi, au centre de Palerme, appartient à la princesse et au prince Vanni Calvello Mantegna. Ici la terrasse.

Au temps de la splendeur de ses propriétaires, le palais Gangi pouvait se permettre le luxe de fairetravailler une vingtaine d’artisans. Le prince et la princesse avaient même créé un atelier de restauration sur place. « Un des conservateurs de Versailles m’a félicitée un jour : “Votre palais et le soin que vous y apportez sont uniques en Europe” », se réjouit Carine Vanni Mantegna. Mais l’Italie, qui recèle de trésors, est parfois indifférente à ses richesses. « Les seuls qui me proposent de me venir en aide sont des Français et des Suisses. On dirait que les Palermitains s’en fichent complètement. » C’est justement le sujet du Guépard : cette indolence, ce consentement au temps qui passe et ce dédain pour un monde sur le point d’être englouti.

Reste à savoir qui pourrait se porter acquéreur d’une telle demeure. La municipalité est exsangue, la région tout autant, qui préfère employer des milliers de fonctionnaires locaux à ne rien faire pour s’assurer leurs suffrages au moment des élections. « C’est incroyable, reprend Carine Vanni Mantegna, l’Italie tire pourtant une partie importante de ses ressources du tourisme, mais si les grandes demeures sont obligées de fermer, c’est une catastrophe. » Une seule solution à ses yeux : alléger la fiscalité sur les résidences historiques : « Je préfère mettre 30 000 euros dans la réfection d’une gouttière que les donner à une des régions les plus corrompues du monde. »