En Sicile, le journaliste anti-Mafia était un pourri

Profitant de sa réputation d’intégrité, Pino Maniaci usait et abusait de son influence depuis des années. Il vient d’être mis en examen pour extorsion.

Pino Maniaci en 2013 dans les studios de Telejato, la chaîne de télévision anti-Mafia qu’il dirigeait depuis 1999.

Certains ont encore du mal à y croire. Pour les nombreuses associations anti-Mafia de Sicile, il était un héros. Par l’intermédiaire de sa petite télévision locale, Telejato, qu’il avait rachetée et dirigeait depuis 1999, Pino Maniaci, un entrepreneur, était devenu leur porte-parole, la face visible de leur combat.

Avec ses moustaches fournies, ses lunettes, son bagout, sa manière de livrer sans détour dans ses journaux télévisés le nom des personnes soupçonnées de collusion avec le crime organisé, il passait même, à 63 ans, pour l’héritier de Peppino Impastato, un autre journaliste qui en savait trop, assassiné le 9 mai 1978. L’association Reporters sans frontières le comptait parmi sa liste des « héros mondiaux de l’information ».

Le 4 mai, tout s’est effondré. Depuis cette date, Maniaci est « mis en examen pour extorsion » et interdit de séjour dans les provinces de Palerme, Trapani et Messine. Depuis cette date, il se tait. A la suite d’une enquête ouverte en 2014 par les carabiniers de l’île sur des complicités entre élus et membres de Cosa Nostra, le masque de Pino Maniaci est tombé.

Amère comédie

Grâce à une caméra-espion dissimulée dans le bureau du maire d’une petite commune, on peut voir et entendre le journaliste réclamer à son hôte la somme précise de 466 euros pour le prix de son silence. Il avait, disait-il, des informations capables de « faire sauter » toute l’administration municipale. L’élu fouille ses poches et règle sans discuter la somme exigée.

Dans une autre écoute, il se fait fort de trouver un emploi à sa maîtresse. « Ne t’inquiète pas, j’en fais mon affaire. Tu n’as pas encore compris la puissance de Pino Maniaci », lui lance-t-il. La dame rêvant d’un CDI dans une administration, il la rassure de nouveau. « Sois tranquille, lui dit Maniaci, je te ferai gagner le concours. » Sa compagne est aux anges : « Toi, vraiment, avec cette télévision, tu fais trembler tout le monde. » On se croirait dans une comédie italienne, pourtant elle est amère.

« Maintenant, ils sont tous à s’agiter. Même ce connard de Renzi m’a téléphoné. On va bientôt me donner une escorte ! » Pino Maniaci

Pendant des années, l’homme aurait joué sur tous les tableaux, profitant de sa réputation d’intégrité, se faisant un honneur des menaces qu’il recevait : n’a-t-il pas failli être étranglé avec sa cravate par le fils d’un boss local ? Sa voiture n’a-t-elle pas été incendiée ? C’est la Mafia qu’il dénonce énergiquement sur le plateau de sa télévision lorsqu’il retrouve, en 2014, ses deux chiens pendus par un fil de fer dans la cour de sa résidence. « Les salauds ! », se lamente-t-il au bord des larmes. Matteo Renzi l’appelle pour l’assurer de la solidarité de la classe politique.

En réalité, les mafieux n’y sont pour rien. C’est le mari de sa maîtresse qui a voulu se venger. Maniaci le sait, qui fanfaronne au téléphone en riant : « Maintenant, ils sont tous à s’agiter. Même ce connard de Renzi m’a téléphoné. On va bientôt me donner une escorte ! »

Hypocrisie et naïveté

« Que Maniaci s’explique ou qu’il disparaisse à jamais !, a explosé un député membre de la commission parlementaire anti-Mafia devant ces révélations. Nous avons eu le tort d’être naïfs, de nous être fiés de bonne foi à sa réputation. » Naïveté des uns, double jeu des autres.

Ce n’est pas la première fois, hélas, qu’un paladin de la légalité se fait pincer en Sicile, ruinant ainsi des années de lutte des associations. En 2015, Roberto Helg, le président de la chambre de commerce de Palerme qui avait ouvert un bureau afin que les commerçants victimes d’extorsion puissent dénoncer le crime organisé, était arrêté. Il aurait exigé le versement de pots-de-vin pour permettre l’ouverture d’une pâtisserie dans l’aéroport de la ville.

La même année, Antonello Montante, représentant local de la Confindustria, le Medef italien, et chantre de la légalité, tombait à son tour dans une affaire d’appels d’offres truqués.