Cannes 2016 : Jodie Foster, la rançon de la gloire

En 1976, l’actrice découvrait Cannes à 13 ans pour « Taxi Driver ». Quarante ans plus tard, elle y présente « Money Monster ».

Jodie Foster a inauguré son étoile sur Hollywood Boulevard, le 4 mai 2016.

Elle ne peut s’empêcher de regarder Cannes 2016 dans le miroir de Cannes 1976. Il y a exactement quarante ans, Jodie Foster montait les marches pour Taxi Driver, de Martin Scorsese. Elle avait 13 ans, l’âge de son personnage, une prostituée cornaquée par Harvey Keitel et sortie de l’abîme par Robert De Niro. A 53 ans, c’est cette fois en tant que réalisatrice qu’elle participe au Festival. Elle y présente Money Monster (sortie le 12 mai), son quatrième film après Le Petit Homme (1991), Week-end en famille (1995) et Le Complexe du castor (2011).

Pour Jodie Foster, l’enjeu n’est pas seulement le temps qui passe, mais l’utilisation intelligente de ce temps. « Qu’ai-je fait de tout ce temps ? Etait-ce pour produire quelque chose de valable ? » C’est la question posée au personnage principal de Money Monster, incarné par George Clooney.

Un animateur de télévision, gourou de la finance, dont les conseils, rarement judicieux, le goût pour la caricature et la vulgarité affichée à l’écran vont le conduire à se retrouver pris en otage en direct par un spectateur ruiné après avoir suivi ses recommandations. « Le centre du film, estime la réalisatrice, n’est pas tant la crise financière de 2008 que le drame d’un individu pris en otage, en pleine crise spirituelle, quelqu’un qui ne sait plus qui il est, ce qu’il vaut. Et cette interrogation vaut autant pour lui que pour moi. »

Dans "Money Monster" de Jodie Foster, George Clooney campe un animateur télé, gourou de la finance, pris en otage en direct par un spectateur.

Il y a quarante ans, à Cannes, Jodie Foster n’était presque rien. Elle était déjà apparue dans un autre film de Scorsese, Alice n’est plus ici (1974), mais le nouveau long-métrage du réalisateur américain allait donner à la très jeune ­comédienne une toute autre visibilité. Du tournage, elle se souvient surtout de la séquence de carnage finale : un bain de sang, réalisé en fait avec une eau rouge sucrée. Cela donnait à la scène une allure de Disneyland étrange, un aspect infantile très éloigné du vécu du spectateur pour lequel il s’agit au contraire de l’acmé d’un cauchemar perçu dès la première scène du film.

A Cannes, une actrice comme les autres

Scorsese et De Niro avaient fait beaucoup d’efforts pour expliquer à la jeune fille ce qui se passait à l’écran, lui donner des indications avec pédagogie, ce qui n’avait rien d’évident : pas facile, en effet, de détailler ce que fait une prostituée, dont le quotidien diffère sensiblement de celui d’une gamine de 13 ans.

A Cannes, c’était différent. Taxi Driver était arrivé sur la Croisette précédé d’une réputation sulfureuse en raison de sa ­violence. On était très loin, en début de Festival, de la Palme d’or octroyée au moment de la distribution des prix. Scorsese, Harvey Keitel et De Niro, terrifiés, restaient à l’écart, à l’Hôtel du Cap-Eden-Roc, à une demi-heure en voiture de la Croisette, pour n’apparaître qu’à l’occasion de la conférence de presse du film et de sa présentation.

La réalisatrice lors de la montée des marches à Cannes, en 2011, pour "Le Complexe du castor".

Jodie Foster, elle, ne devait pas être présente sur la Côte d’Azur. La Columbia, qui produisait le film, ne voyait pas l’intérêt de lui faireeffectuer le voyage. C’est la mère de l’actrice qui avait insisté, prenant en charge le billet d’avion de sa fille, et obtenant du studio qu’il paie sa chambre d’hôtel, au Majestic, à deux pas du Palais des festivals.

« Les autres étaient planqués, tandis que j’étais en plein centre-ville : j’étais donc la seule personne du film qui se montrait. C’était fantastique. Ma mère me voyait déjà comme une fille plus âgée que mes 13 ans et ma carrière était assez singulière, mais là, je me suis vraiment sentie une actrice comme les autres. Après Taxi Driver, je suis retournée à des productions Disney, comme La Course au trésor ou Un vendredi dingue, dingue, dingue, je pouvais me le permettre. »

La jeune actrice Jodie Foster en 1976 lors de sa première fois à Cannes pour le film "Taxi Driver", de Martin Scorsese.

La culture de la célébrité se trouve au cœur de trois des quatre films qu’elle a réalisés. Mais Money Monster apparaît comme celui qui pose le plus clairement la question de la médiatisation des individus, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, avec le ­principe d’un fait divers vécu en direct par la terre entière. Dans les années 1970, Jodie Foster avait pu mener sa ­carrière et sa vie, enchaîner les films tout en vivant ­discrètement sa scolarité à l’université.

« Cette carrière que j’ai eue, je n’en voudrais pas désormais. Je n’aurais même pas envie de devenir actrice. » Jodie Foster 

Une scolarité si heureuse qu’à la fin des années 1980 elle avait sérieusement hésité entre un avenir sur grand écran et une activité universitaire. Elle n’était pas satisfaite de son ­travail dans Les Accusés (1988), pour lequel elle héritera d’un Oscar, guère plus de sa performance dansLe Silence des agneaux(1991), qui lui permettra ­pourtant d’en décrocher un second. Puis les choses ont repris leur cours.

« Ce serait aujourd’hui impossible. Cette carrière que j’ai eue, je n’en voudrais pas désormais. Je n’aurais même pas envie de devenir actrice. Je ne pourrais pas supporter l’absence de vie privée. Dans les années 1970, je pouvais tranquillement compartimenter les choses dans ma vie, c’est impossible aujourd’hui. Je suis frappée de voir que les gamins ne ­comprennent pas qu’on ne soit pas sur Facebook. Ou que l’on ne veuille pas prendre un selfie toutes les cinq minutes. Si j’allais à l’université aujourd’hui, on ne me laisserait pas tranquille, je serais scrutée par la terre entière. “Money Monster” parle de ça, c’est un film sur la technologie, pour le meilleur et pour le pire. »

Bande-annonce de « Money Monster »