En Inde, on ne rigole pas avec les Sikhs

Le Monde | 04.04.2016 à 14h43 • Mis à jour le08.04.2016 à 14h37 |Par Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

Véritable passion nationale, les histoires drôles sur les Sikhs ne font pas rire tout le monde. En particulier les membres de la communauté, qui ont saisi la Cour suprême pour les faire interdire.

Lors d'une célébration sikhe, à Nihang, dans le nord de l'Inde, un homme porte un turban de 650 m de long.

La très prestigieuse Cour suprême indienne va-t-elle interdire les histoires drôles ? L’avocate Harvinder Chowdhury a saisi l’auguste institution pour réclamer l’interdiction des plaisanteries tournant en dérision les Sikhs. Selon elle, ces blagues heurtent les sentiments de la communauté, et ridiculisent les « Sardars », ceux qui portent le turban, en les faisant passer pour des « personnes idiotes et ridicules ». « Cela équivaut à une violation du droit fondamental à la dignité humaine garanti par la Constitution », a plaidé l’avocate, en octobre 2015, pour convaincre les juges de se saisir de cette plainte.

Ces histoires drôles sont sans doute, après le cricket, la deuxième passion du pays. Pas un Indien qui ne veuille impressionner son interlocuteur en lui livrant la dernière blague sikhe. En voici un modeste florilège : « Tiens, un oiseau mort, observe un passant. – Où est-il ? », demande le Sardar en levant les yeux vers le ciel. Ou encore : « Pourquoi un Sardar n’a-t-il jamais de glaçons chez lui ? Parce qu’il ne connaît pas la recette. »

5 000 sites Internets spécialisés

Les blagues sikhes sont au reste des Indiens ce que les blagues belges sont aux Français. Plusieurs humoristes indiens ont été arrêtés par la police pour avoir porté atteinte au sentiment et au respect d’autrui, qui limite la liberté d’expression dans le pays. Il suffit qu’un individu soit offusqué pour pouvoir réclamer la censure au nom de toute sa communauté. Mais « comment, concrètement, interdire ces histoires drôles ? », a demandé l’un des juges de la Cour suprême en octobre 2015. Il est en effet difficile d’identifier leurs auteurs ou d’obtenir la preuve que quelqu’un a ri en écoutant une blague interdite.

Les plaignants ont fourni une liste de 5 000 sites Internet spécialisés dans les blagues sikhes dans l’espoir que le ministère indien des nouvelles technologies en bloque l’accès. L’un des juges a observé que ces histoires sont si populaires parmi les Sikhs que ces derniers seront sans doute les premiers à se plaindre de leur interdiction. L’audience, prévue le 5 avril, a été reportée en juillet.

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  • Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)

    Journaliste au Monde
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