En Norvège, des migrants condamnés au retour vers l’inconnu

La famille Al-Zanghari a quitté la Jordanie pour s'installer en Norvège. Le père est arrivé seul en 2002 puis a fait venir son épouse et ses filles entre 2004 et 2010. Ci-dessus, Doaa, Israe, Gofran, Mona (de gauche à droite, rang du haut), Bayan, Sara et Nora (rang du bas). Ces deux dernières, aujourd'hui âgées de 9 et 7 ans, sont nées en Norvège. En 2013, la police a surgi chez eux en pleine nuit pour les expulser. M. Al-Zanghari se serait fait passer pour un Palestinien apatride afin d'obtenir l'asile politique.

« Ils parlent de paix, mais ils ne la construiront pas en envoyant des enfants au Yémen ou en Afghanistan. Ils donnent le prix Nobel de la paix à Malala Yousafzai, mais ils ne font pas la paix dans leur vie. » Ces mots simples et durs sont ceux de Josephine, une adolescente nigériane expulsée de Norvège dont la photographe Andrea Gjestvang a suivi le parcours.

Etat providence, pays du prix Nobel de la paix, engagé pour la défense des droits de l’homme, la Norvège bénéficie d’une image positive. Mais le pays change. Cette pétromonarchie subit actuellement les effets de la chute du prix du pétrole. Et en dépit de déclarations humanistes sur les droits des enfants, elle a durci sa politique envers les réfugiés, y compris mineurs. Au gouvernement depuis octobre 2013 dans une coalition aux côtés des conservateurs, le Parti du progrès (FrP), formation populiste et anti-immigrés, imprime sa marque. « Depuis son arrivée au pouvoir, le FrP conduit sa politique de façon agressive. Et les gens l’acceptent, je ne comprends pas », s’indigne Andrea Gjestvang.

Fausses retrouvailles

C’est en lisant, en décembre 2014, une enquête sur les expulsions de mineurs étrangers que la photographe a décidé de s’intéresser à ce sujet. Selon un consensus alors en vigueur, les enfants ayant vécu de longues années en Norvège ne pouvaient être renvoyés dans leur pays d’origine. Une règle tacite qui semble ne plus avoir cours.

Entre avril et juillet 2015, Andrea Gjestvang suit quatre jeunes gens expulsés, avant de revenir à la fin de l’été sur les lieux où ils ont vécu en Norvège. Negin, l’Iranienne, avait fui son pays en 2009 avec sa famille, Amin était arrivé d’Afghanistan la même année. Les sœurs de la famille jordanienne Al-Zanghari vivaient pour certaines depuis 2004 en Norvège. Quant à Richard, venu du Nigeria avec ses parents, son frère et ses deux sœurs, il a passé six ans dans le royaume avant d’être expulsé. Si les histoires et les parcours diffèrent, tous racontent à la photographe le déracinement et ces fausses retrouvailles avec un pays qu’ils ne connaissaient pas ou peu. Un pays où leur famille est parfois toujours en danger.

528 mineurs expulsés en 2015

Alors que le nombre de réfugiés venus essentiellement de Syrie et d’Afghanistan augmentait, la situation n’a fait que se dégrader pour les demandeurs d’asile. En 2015, ils ont été 31 145 à frapper à la porte du pays, un record. Parmi eux, 5 297 mineurs arrivés seuls, les deux tiers en provenance d’Afghanistan. Cette même année, 528 mineurs ont été expulsés du royaume. Dans les conditions actuelles, cela peut prendre jusqu’à trois ans avant qu’un dossier de demande d’asile soit examiné.

La ministre de l’immigration, Sylvi Listhaug, membre du FrP, attise les peurs, soulignant que cette vague migratoire aura des « conséquences dévastatrices » pour la société norvégienne. Fin décembre 2015, elle a déposé un projet de loi qui, s’il est adopté, fera de la Norvège le pays le plus strict d’Europe – avec le Danemark – pour l’accueil des étrangers. Très critiqué notamment par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il doit être revu ce mois-ci.

Comme ailleurs en Europe, la société norvégienne se referme sur elle-même. Ces dernières semaines, des habitants liés à des groupuscules d’extrême droite baptisés les « soldats d’Odin » – dieu de la guerre dans la mythologie nordique – ont commencé à patrouiller dans les rues de certaines villes. Selon de récents sondages, les Norvégiens ne sont plus que 45 % à penser que l’immigration est positive pour leur pays, contre 54 % il y a seulement un an.

Gofran et Nora (en bas) vivent aujourd'hui avec leur père et leur sœur Sara à Irbid, en Jordanie. Comme elles parlent et écrivent très mal l'arabe, elles ne peuvent être scolarisées et passent leurs journées à dormir ou à chatter avec leurs amies norvégiennes (en haut à gauche, Frida, Gyda, et Elise Sofie sur l'aire de jeux où elles avaient l'habitude de se retrouver ; en haut à droite, le paysage vu depuis la maison de la famille à Namsos). Leur mère et les autres filles ont à nouveau traversé la Méditerranée. Elles vivent à Malmö, en Suède, et espèrent encore obtenir l'asile pour toute la famille en Norvège. Après un refus de la Cour suprême, elles se sont tournées vers la Cour européenne des droits de l'homme.
Negin (en haut et en bas à gauche) a quitté l'Iran en 2009 avec son frère et ses parents qui fuyaient des persécutions politiques. A Farsund, dans le sud de la Norvège, elle s'est prise de passion pour la natation (ici, la jeune fille est à la piscine de Bolu, en Turquie). Elle aimait aussi beaucoup jouer au foot (en haut à droite, Vaarin et Sunniva, ses meilleures amies ; en bas à droite, un bureau « décoré » de leur maison de Farsund). En Norvège, la famille s'était convertie au christianisme. Tous ont été expulsés en janvier 2014. A l'aéroport de Téhéran, la police les attendait pour un long interrogatoire. En Iran, il est interdit de se convertir. La famille, qui craignait pour sa vie, a réussi à passer en Turquie.
D'origine nigériane, Richard (ci-dessus) vivait en Italie avec sa famille. Mais à la suite d'un accident du travail qui lui a fait perdre un œil, son père a été licencié. Il a alors envoyé son épouse et ses quatre enfants en Norvège. Malgré le rejet de leur demande d'asile (la maman avait invoqué le risque d'excision au Nigeria), la famille était hébergée dans un centre pour réfugiés (en bas à droite) à Borkenes, dans le nord du pays. Richard y menait une vie presque normale : il allait à l'école, s'investissait dans la vie de la paroisse, s'était fait des copains (en haut à droite, sa meilleure amie Johanne, dans l'endroit secret qu'ils avaient l'habitude de partager). Mais en septembre 2014, Richard et sa famille ont été expulsés. Ses chaussures de sport (en haut à gauche) sont l'un des rares effets personnels qu'il a pu emporter. Après quatre mois à Lagos, sa famille a de nouveau quitté le pays pour l'Italie, où tous vivent aujourd'hui dans l'attente de pouvoir repartir un jour en Norvège. En 2015, les autorités norvégiennes ont réétudié leur dossier. Verdict : la connexion des enfants avec le pays « n'est pas assez forte ».
En arrivant en Norvège en 2009, Amin (en haut àgauche) croyait en avoir fini avec l'Afghanistan et la violence des talibans. Il rêvait de devenir mécanicien, de réparer la voiture de son ami Tobias (en bas à droite). Mais en 2014, les autorités norvégiennes, considérant que Kaboul n'est plus un endroit dangereux, l'ont expulsé, lui et sa famille. Après dix mois dans la capitale afghane, Amin a fait appel à un passeur et s'est enfui pour la Grèce. Il se trouve actuellement quelque part dans le nord de l'Europe. Il garde toujours sur lui une carte postale de Gol, le village norvégien où il habitait (en bas à gauche).