Los Angeles freine sur la voiture

[Spécial Californie] Le projet de la municipalité d’accroître les pistes cyclables et de favoriser les transports en commun ne passe pas sans heurts dans la mégapole, où l’automobile est reine.

Le projet prévoit la mise en place de 480 nouveaux kilomètres de pistes cyclables. Un objectif modeste par rapport aux 9000 kilomètres qui forment le réseau.

La car culture serait-elle en déclin ? On se prendrait à y croire en voyant les vélos affronter bravement la circulation sur les avenues à six voies de Los Angeles, pourtant royaume de la voiture (4 millions d’habitants, 6 millions de ­véhicules, 120 millions de kilomètres ­parcourus tous les jours). En août 2015, la municipalité a lancé un projet audacieux dans une ville où, bien que 47 % des trajets soient inférieurs à 5 km, on sort rarement sans son véhicule : 480 km de nouvelles pistes cyclables et 190 km de voies réservées aux autobus. Sur un réseau de plus de 9 000 km, c’est modeste.

“Les automobilistes sont déjà comme des homards dans une casserole bouillante.” Eric Garcetti, maire de Los Angeles

Mais « c’est un changement fondamental, assure Claire Bowin, l’architecte de ce “plan de mobilité” à la mairie. Jusqu’ici, on faisait tout pour la voiture. Des parkings pas chers. Des avenues larges pour que les gens puissent rouler vite. » Désormais, les non-automobilistes auront droit à quelques égards : « Des arrêts de bus couverts, des horaires annoncés… », poursuit-elle.

A peine proclamé, le projet – qui vise l’horizon 2035 – a été attaqué en justice par l’association Fix the City. Les mécontents dénoncent ce qu’ils appellent un « plan d’immobilité ». D’après eux, le rétrécis­sement des avenues devrait encore aggraver les embouteillages. Ce que la mairie reconnaît aisément : 36 % des intersections devraient être massivement engorgées en 2035. Mais sans limitation, le pourcentage atteindra de toute façon 22 %.

Selon le maire Eric Garcetti, démocrate et écologiste convaincu, les automobilistes sont déjà comme des « homards dans une ­casserole bouillante ». Si rien n’est fait pour réduire la température, tout le monde finira par y passer.

Les autoroutes, symboles de liberté

Les opposants sont persuadés que les démocrates de la mairie et leurs alliés, les bobos à vélo, ont un plan secret pour leur arracher leur voiture. A les entendre, ce sont les deux-roues qui sont agressifs. « Le jour du vote du plan, mon mari a sorti sa nouvelle voiture et il a été heurté par un vélo ! 1 200 dollars de dégâts ! », témoigne Annie Gagen, une actrice à la blondeur descendue tout droit d’Hollywood. Son mari, le scénariste Jim Geoghan (le « père » des héros de série Zack et Cody), approuve : « Ils veulent nous fairesortir de nos voitures et nous forcer à ­circuler à vélo ! »

Los Angeles n’a pas toujours été monomaniaque de la voiture. Au début du xxe, le réseau de transport interurbain était le premier du monde. Mais la classe moyenne a réclamé des crédits pour le développement des banlieues plutôt que des subventions pour les trains. La ville a donc élargi les autoroutes, symboles de la liberté qu’aucun feu rouge n’entraverait (d’où le nom de freeways). La voiture s’est imposée, si attirante avec son espace individuel.

« Il ne faut pas tuer les voitures. Mais il faut tuer la mentalité qui veut que les voitures aient la priorité », estime Rick Cole, le city manager (responsable administratif) de Santa Monica. Le département des transports a mis en place un programme d’éducation. On y apprend la sécurité et même à monter à vélo. « Certaines personnes habitent dans des rues où la circulation est trop effrayante. Ils n’ont jamais fait de vélo », justifie ­Elisabeth Gallardo, l’une des ­monitrices.

Des ateliers pour apprendre à faire du vélo

Dans un enthousiasme touchant, les associations organisent des « ateliers » pour expliquer comment aller au marché bio sans sa voiture et quel panier attacher à son deux-roues. Elles proposent des randonnées, en groupe, pour les rassurer. « Il faut montrer que c’est amusant de ­circuler à bicyclette », explique Vanessa Gray, de l’association Cicle, qui enseigne le vélo à une vingtaine de ­personnes par mois (40 ­dollars le cours).

Une partie de la population est séduite. L’urbaniste Aaron Paley a créé le festival de rue CicLAvia en 2010, après avoir assisté à son équivalent en Colombie. « L’idée que la rue n’est pas seulement pour les voitures est une révolution, dit-il. Les gens n’avaient pas marché sur la chaussée depuis les manifestations des années 1960. »

Le festival, qui entend rendre les freeways aux habitants l’espace d’une journée, a maintenant lieu quatre fois par an et attire de 30 000 à 100 000 personnes. Le prochain aura lieu le 6 mars dans la vallée de San ­Fernando. « On prend conscience du coût de la voiture : les piétons écrasés, l’impossibilité de bavarder dans un café sans que les voix soient couvertes par le bruit des moteurs », dit-il.

Le festival CicLAvia, créé en 2010, redonne, le temps d'une journée, certaines rues de LA à leurs habitants. Il attire désormais de 30 000 à 100 000 personnes quatre fois par an.

L’idée d’un déclin de la car culture aux Etats-Unis s’est propagée depuis que des enquêtes ont montré que la génération née autour de l’an 2000, les millennials, n’attribuait plus la même valeur mythique à l’automobile. Connectés, les jeunes sont moins pressés de se déplacer. La Silicon Valley leur fait miroiter un futur de transport à la demande (et sans chauffeur), où posséder un véhicule individuel sera largement dépassé.

En 1983, le pourcentage des 20-24 ans titulaires du permis de conduire était de 91,8 %. En 2013, il était tombé à 77,5 %. Mais les chercheurs de l’Institut des études sur le transport de l’UCLA (University of California Los Angeles) sont prudents. Il serait très « prématuré » de prononcer l’éloge funèbre de la culture de la voiture sur la base du comportement de quelques millennials, nuancent-ils dans un rapport d’octobre 2015. Selon eux, les Etats-Unis resteront longtemps un pays centré sur l’automobile : un quart seulement des habitations sont situées dans des zones urbaines. Mais à l’horizon 2035, les cyclistes de LA ne s’interdisent pas de rêver.